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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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mener dans ce camp, éloigné du nôtre d’une quarantaine de kilomètres. Ces bombardements avaient semé la panique et la terreur, et ces deux prisonnières en se mettant à l’abri se trouvèrent séparées du camp et des S.S. allemands. Cela se passait, si je m’en souviens bien, vers le mois de mars 1945, et des civils allemands les hébergèrent, leur donnèrent des vêtements civils car les leurs avaient été souillés et brûlés. L’évasion était donc excessivement facile, cette famille allemande ne demandant qu’à les aider. Mais, Edwidge ne voulut jamais profiter de cette occasion unique et contraignit sa camarade à la suivre, sous la menace de la dénoncer. Vous pensez bien combien cette ignoble fille fut félicitée à son retour par les S.S. allemands lorsqu’elle leur raconta son aventure. À partir de ce jour, elle devint si fière de son autorité que nous la craignions autant que la kommandante.
    Il y avait aussi une fille nommée « Véra », vicieuse et voleuse, qui allait cafarder et qui nous faisait battre constamment. Or, un jour, ayant dépassé les bornes, elle se fit prendre la main dans le sac par le kommandant, et fut schlaguée. Elle perdit un peu de sa superbe.
    Je terminerai ces lignes en vous parlant d’une épouvantable Gitane surnommée « Julot ». Elle avait les cheveux coupés à la garçonne, et grâce à des produits de beauté que devait lui remettre une des Aufseherinnen, elle se maquillait honteusement ; mais elle plaisait aux Aufseherinnen et on la voyait constamment dans les bras de l’une d’elles. Elle avait une sorte de grain de beauté juste sur le bout du nez, ce qui la rendait encore plus écœurante mais cela charmait les S.S. qui l’avaient autorisée, dans les derniers temps, à porter des culottes masculines. Cette fille qui avait joué de l’accordéon dans une maison de passes en Pologne, ne savait ni lire, ni écrire, ni même compter jusqu’à cinq lorsqu’elle devait nous faire mettre en rangs. Ce fut elle qui fit assommer ma camarade « Zozo » qui, outrée de sa brutalité envers moi, lui avait un jour crié :
    — Ein moment schmutz, Américain here in ein monat… (Un moment ordure, les Américains seront ici dans un mois.)
    Ce qui devait, par la suite, se révéler faux car ce furent les Russes qui nous sauvèrent de justesse.
    Nous aurions tant voulu pouvoir leur régler leur compte, mais, à l’arrivée des Alliées, elles se sont toutes, hélas ! évadées ou camouflées.
LA VIE DE L’USINE
    — Auf-stehen ! auf-stehen ! hurle l’Aufseherin.
    Quelques coups de sifflet stridents, quelques claques pour les malheureuses filles qui ne sont pas descendues de leur paillasse assez rapidement.
    Il est quatre heures et demie du matin.
    On se presse, on se bouscule.
    Celles qui couchent au troisième étage des châlits se dépêchent de faire leur paillasse afin de ne pas jeter des bouts de paille sur les lits des camarades du second. On plie vite ses couvertures. En se retournant, on marche sur les mains des filles qui se hâtent elles aussi. Nos galoches frappent leur visage. Puis, on court aux waters. Zut ! Il y a la queue, et quelle queue ! Jamais on ne sera prête à temps.
    On se lave à peine, on ne retrouve plus ses affaires car, si on les abandonne quelques instants, elles sont immédiatement volées.
    — « Appel », « appel », « schnell », « schnell », « bistro », « game », « appel », « appel », « schnell », « lost », « lost », crient les Blockowas.
    Elles nous tapent, jettent tout le monde dehors, femmes, vêtements, tout sort du dortoir en pagaïe, il est à peine cinq heures.
    Dieu ! qu’il fait froid dans cette usine ! Et dire qu’on va rester debout dans cette glacière, en appel, pendant au moins deux heures avant de commencer le travail !
    Un tumulte formidable, une bousculade affreuse, on crie, on s’injurie, des coups de poings par-ci, par-là.
    Enfin, on est en rangs, cinq par cinq, les plus petites devant, les plus grandes derrière. Les prisonnières se rangent ; on se pousse, on pousse sa voisine car il y a un décalage. On se pousse vers la droite en faisant deux ou trois pas sur le côté, on se décale encore et encore et encore. C’est fatigant, énervant surtout. On est obligé d’abandonner sa camarade française avec qui on avait l’espoir d’échanger quelques mots.
    Enfin ça y est, nous voilà en colonne cinq par cinq ; on est

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