Le Capitaine Micah Clarke
formule de
reconnaissance, pour la nourriture, mais se perdait dans des
histoires d'Église et d'État, pour finir par une supplication en
faveur d'Israël, qui venait de prendre les armes pour livrer les
batailles du Seigneur.
Pendant tout ce temps-là, nous formions un
groupe près de la porte, nu-tête, et nous nous occupions à observer
la compagnie et nous pouvions le faire de plus près que la
politesse ne nous eût permis de le faire, si les gens n'avaient pas
tenu les yeux baissés, et si leur pensée ne s'était pas portée
ailleurs.
Il y en avait de tous les âges, depuis les
barbons jusqu'aux jeunes garçons ayant à peine dépassé les dix-huit
ans.
Tous avaient sur les traits la même expression
austère et solennelle.
Tous étaient vêtus de la même façon, de
costumes simples et sombres.
À part la blancheur de leurs larges cols et de
leurs manches, pas un cordon de couleur n'égayait la triste
sévérité de leur habillement.
Leurs vestes et leurs gilets noirs étaient de
coupe droite et collante, et leurs souliers de cuir Cordoue, qui,
au temps de notre jeunesse, étaient d'ordinaire l'endroit préféré
pour quelques menus ornements, étaient tous, sans exception, à
bouts carrés et attachés avec des cordons de couleur foncée.
La plupart portaient des baudriers simples en
cuir non tanné, mais les armes elles-mêmes, ainsi que les larges
chapeaux de feutres et les manteaux noirs, étaient entassés sur les
bancs, ou déposés sur les sièges le long des murs.
Ils tenaient les mains jointes, la tête
penchée et écoutaient cette allocution inopportune, en témoignant
de temps à autre, par un gémissement ou une exclamation, de
l'émotion que les paroles du prédicant excitaient en eux.
Les trop longues actions de grâces se
terminèrent enfin.
La troupe s'assit et se mit sans autre retard
ni cérémonie à attaquer les gros quartiers de viande qui fumaient
devant elle.
Notre jeune hôtesse nous conduisit au bout de
la table, où une haute chaise sculptée, pourvue d'un coussin noir,
indiquait la place du maître de la maison.
Mistress
Timewell s'assit à la droite
du Maire, ayant à côté d'elle Sir Gervas et la place d'honneur, la
gauche, étant donnée à Saxon.
À ma gauche était assis Lockarby, dont j'avais
vu les yeux se fixer avec une admiration visible et persistante sur
la jeune Puritaine depuis le premier instant où il l'avait
aperçue.
La table n'étant pas très large, nous pouvions
causer d'un bord à l'autre malgré le fracas de vaisselle et des
plats, malgré l'affairement des domestiques et le grave
bourdonnement des voix.
– C'est le personnel de la maison de mon père,
fit remarquer notre hôtesse, s'adressant à Saxon. Il n'y a ici
personne qui ne soit à son service. Il a un grand nombre
d'apprentis dans le commerce de la laine. Nous sommes ici quarante
à chaque repas, tous les jours de l'année.
– Et un repas fameux, dit Saxon, en jetant un
regard sur la table, du saumon, des côtes de bœuf, des croupes de
mouton, des pâtés de veau, qu'est-ce qu'un homme peut désirer de
plus ? De la bière brassée à la maison, servie en abondance,
pour faire descendre tout cela. Si le digne Maître Timewell trouve
le moyen d'approvisionner l'armée de cette façon, je serai le
premier à lui en être reconnaissant. Une tasse d'eau sale, et un
morceau de viande enfilé sur une baguette de fusil et charbonnée
plutôt que rôtie au feu du bivouac, voilà probablement ce qui
succédera à ces douceurs.
– Ne vaut-il pas mieux avoir la foi ? dit
la jeune Puritaine. Le Tout Puissant ne nourrira-t-il pas ses
soldats, tout de même qu'Élisée fut nourri dans sa solitude et
qu'Agar le fut dans le désert ?
– Oui, dit un jeune homme à la tignasse
frisée, au teint basané, qui était assis à la droite de Sir Gervas,
il pourvoira à nos besoins, tout de même qu'un ruisseau jaillit des
endroits secs, tout de même que les cailles et la manne tombèrent
en abondance sur le sol stérile.
– Je l'espère bien, mon jeune monsieur, dit
Saxon, mais il ne nous faudra pas moins organiser un service
d'approvisionnement, avec une escorte de chariots numérotés, et un
intendant pour chacun, à la façon allemande. Ce sont là choses
qu'il ne faut point laisser au hasard.
À cette remarque, la jolie
Mistress
Timewell leva les yeux d'un air presque effaré, comme si elle en
était scandalisée.
Ses pensées auraient pris la forme de paroles,
si à ce moment même, son
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