Le Capitaine Micah Clarke
le pende, si cela plaît au
patron ! Tout ça se passera à bord, à découvert, mais, par le
tonnerre, c'est une bataille que vous allez avoir, si vous touchez
encore à cet homme-là.
– Tout doux, Dicon, dit leur chef, d'une voix
conciliante, nous savons tous que Pete n'est pas de taille à se
battre, mais il est le meilleur tonnelier de la côte. Eh !
Pete ! Il n'a pas son pareil pour faire une douve, pour
cercler, pour assembler. Qu'on lui donne une planche, et il en aura
fait un baril, pendant le temps qu'un autre se demandera comment il
faut faire.
– Ah ! vous vous rappelez cela, Capitaine
Murgatroyd, dit le Hollandais d'un ton maussade, mais vous me
regardez assommer, battre, et narguer, et injurier, et qu'est-ce
qu'on fait pour moi ? Je vous le jure, quand la
Maria
retournera au Texel, je me remettrai à mon ancien métier, je vous
en réponds, et je ne remettrai plus le pied sur son bord.
– Pas de danger ! répondit le Capitaine,
en riant. Tant que la
Maria
ramassera ses cinq mille
pièces d'or et sera capable de montrer ses talons à n'importe quel
cotre de la côte, on n'a pas à craindre que cet avaricieux de Pete
perde sa part de gain. Comment l'ami, si cela continue, vous serez
assez riche dans un an ou deux pour monter une baraque à votre
compte, avec une pelouse bien tondue par-devant, des arbres taillés
en forme de paons, des fleurs formant un dessin, un canal près de
la porte, et une grande ménagère, pleine d'entrain, tout comme si
vous étiez un bourgmestre ! Il s'est fait plus d'une fortune,
grâce aux malines et au cognac.
– Oui, et grâce aux malines et au cognac, il y
a eu plus d'une tête cassée, grogna mon ennemi. Tonnerre ! Il
y a autre chose à envisager que les baraques et les plates-bandes.
Il y a les côtes qui donnent des coups de vent, et les tempêtes du
Nord-Ouest, et la police, et les espions.
– Et c'est justement par là que le marin
adroit l'emporte sur le pêcheur de harengs, ou sur le caboteur aux
allures timides, qui se donne tant de mal d'un Noël à l'autre, qui
risque tous les dangers et n'a pas de ces petits profits. Mais
assez causé ! En route avec le prisonnier, et qu'on le mette
en sûreté avec les entraves aux pieds !
Je fus remis debout, et tantôt porté, tantôt
traîné au milieu de la bande.
Mon cheval avait déjà été emmené dans la
direction opposée.
Notre trajet s'écartait de la route, pour
descendre par un ravin très rocheux, très accidenté qui allait en
pente vers la mer.
Il semblait qu'il n'y eût pas trace de
sentier.
Je ne pouvais que marcher d'un pas incertain
en me butant aux pierres et aux buissons, du mieux que je pouvais,
enchaîné et impuissant comme je l'étais.
Mais le sang s'était séché sur mes blessures,
et la fraîche brise de la mer, qui se jouait sur mon front, me
rendit des forces, ce qui me permit de me faire une idée plus
claire de ma situation.
D'après leurs propos, il était évident que ces
hommes étaient des contrebandiers.
Dès lors, ils ne devaient pas éprouver une
sympathie bien vive pour le gouvernement, ni souhaiter de soutenir
le Roi Jacques en quoi que ce fût.
Il était probable, au contraire, qu'ils
étaient portés vers Monmouth.
En effet, n'avais-je pas vu, la veille un
régiment entier d'infanterie de son armée, lequel avait été levé
parmi les gens de la côte.
D'autre part, il se pouvait que leur avidité
l'emportât sur leur loyalisme et les décidât à me remettre à la
justice, par l'espoir d'une récompense.
Tout bien considéré, il valait mieux, à mon
avis, ne rien dire de ma mission et tenir cachés mes papiers aussi
longtemps que possible.
Mais je ne pus m'empêcher de me demander,
pendant qu'on m'entraînait, quel motif avait poussé ces gens-là à
m'attendre dans une embuscade, ainsi qu'ils l'avaient fait.
La route que j'avais suivie était fort
écartée, et pourtant bon nombre des voyageurs qui se rendaient de
l'Ouest à Bristol, par Weston, devaient la prendre.
La bande ne pouvait pas être occupée sans
cesse à la garder.
Dès lors pourquoi avait-elle tendu ce piège,
cette nuit-là ?
Les contrebandiers, gens sans crainte de la
loi, gens décidés à tout, ne s'abaissaient point, généralement, au
rôle de voleurs allant à pied, de brigands.
Tant qu'on ne se mêlait pas de leurs affaires,
il était rare qu'ils fussent les premiers à causer du désordre.
Donc, pourquoi m'avaient-ils guetté, moi qui
ne leur avais jamais causé aucun
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