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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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causerie.
    — Mais nous sommes peut-être à deux doigts de sortir de l’impasse ! » insista Lowell.
    À quoi Fields rétorqua :
    « Si nous abandonnons Dante à Manning pour nous occuper de Bachi, alors tout notre travail sur la traduction aura été vain. Cela ne nous prendra pas plus d’une heure d’apaiser Houghton. Après, nous pourrons faire comme vous le proposez. »
     
    La puissante odeur de viande grillée et l’heureux brouhaha parvinrent à Longfellow sur le trottoir, avant même qu’il ne franchît le fronton à la grecque de Revere House. Ce déjeuner en compagnie d’Oscar Houghton allait lui offrir un répit d’une heure au moins, au milieu de tous ces discours sur les meurtres et les insectes. Fields, tendu vers sa calèche, instruisait son cocher de retourner à Charles Street, pour chercher M me  Fields et la conduire à Cambridge, à son club de dames. Des membres du cercle de Longfellow, l’éditeur était le seul à posséder un attelage, d’abord parce qu’il avait la plus grande abondance de biens, ensuite parce qu’il plaçait ce luxe bien au-dessus du désagrément que peut représenter un cocher grincheux ou un cheval malade.
    Longfellow remarqua une dame en voilette noire, un livre à la main. Elle traversait Bowdoin Square d’un pas lent mais décidé, les yeux baissés, plongée dans ses pensées. Sa vue lui rappela les jours heureux où il croisait Fanny Appleton dans Beacon Street, et la façon qu’avait la jeune fille d’incliner la tête poliment sans jamais s’arrêter pour lui parler. Il l’avait rencontrée en Europe alors qu’il s’immergeait dans l’étude des langues en vue de se préparer à l’enseignement. Elle s’était alors montrée assez aimable avec cet ami de son frère, qu’elle appelait prof ou professeur. Mais, de retour à Boston, celui-ci eût pu croire que Virgile lui avait chuchoté à l’oreille le conseil qu’il offre au pèlerin dans le cercle des Indifférents : Ne discourons pas d’eux, regarde et passe. Se voyant refuser toute conversation, Longfellow en était venu à façonner un personnage de jeune fille à son image dans son livre Hyperion. Des mois avaient passé sans qu’elle répondît à son geste. Pourtant, elle n’avait pu manquer de se reconnaître dans l’héroïne, si tant est qu’elle eût lu l’ouvrage. Enfin, ils s’étaient revus. Fanny lui avait fait clairement comprendre qu’elle n’appréciait pas de se voir emprisonnée dans un livre et livrée au monde en pâture. L’idée de lui présenter ses excuses n’avait pas effleuré Longfellow. Dans les mois suivants, il s’était ouvert à elle de ses sentiments avec une ardeur qu’il n’avait pas éprouvée pour sa première épouse, Mary Potter, morte d’une fausse couche après un mariage de quelques années seulement. M lle  Appleton et le professeur Longfellow avaient donc commencé à se voir régulièrement. En mai 1843, il lui avait fait sa demande par écrit. Le jour même, il recevait sa réponse. Oh, jour à jamais béni qui ouvre cette Vita Nuova, cette nouvelle vie de bonheur ! Ces mots, que de fois il se les répéterait. Tant et si bien que dans son cœur ils finiraient par prendre forme et grossir jusqu’à pouvoir être serrés dans les bras, tel un enfant que l’on protège.
    « Où est donc passé Houghton ? lança Fields, tandis que sa calèche s’éloignait. Espérons qu’il n’a pas oublié notre rendez-vous.
    — Peut-être a-t-il été retenu à Riverside… Madame. »
    Longfellow souleva son chapeau à l’adresse d’une corpulente matrone qui passait sur le trottoir. Elle lui rendit un timide sourire. Longfellow avait en effet le talent de susciter chez les femmes en parlant avec elles, longuement ou seulement un bref instant, le sentiment qu’il leur offrait des fleurs.
    « Qui était-ce ? l’interrogea Fields.
    — La dame qui nous a servis chez Copeland, quand nous y avons dîné, l’autre hiver.
    — Ah, oui… Si Houghton est retenu à Riverside, il a intérêt à ce que ce soit par ces plaques de l’Enfer que nous devons expédier à Florence ! bougonna l’éditeur.
    — Fields ! souffla Longfellow, les lèvres pincées.
    — Pardonnez-moi, mon ami. La prochaine fois que je l’apercevrai, je vous promets de soulever mon chapeau.
    — Non. Là-bas. »
    Le poète désignait des yeux, sur le trottoir d’en face, un homme lesté d’une sacoche en toile cirée brillante qui marchait

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