Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
Vom Netzwerk:
pourquoi il jugea inutile de comparer ses idées sur la Vraie Littérature avec celles de son patron. Il préféra s’indigner contre le trésorier de Harvard.
    « En vertu de quoi Augustus Manning nous menace-t-il d’une telle sanction ? C’est du chantage pur et simple ! »
    À ces mots, Fields sourit pour lui-même. Il lui restait encore bien des choses à enseigner à son premier clerc.
    « Rien ne serait jamais accompli sans un léger chantage, Osgood. D’un côté, nous avons la poésie de Dante qui nous est étrangère, inconnue. De l’autre, nous avons la Corporation qui règne en maître sur la réputation de Harvard ; qui contrôle le moindre mot autorisé à franchir ses portes. Tout ce qui lui est inconnu ou impossible à connaître l’épouvante au-delà du raisonnable. »
    Fields alla prendre l’édition populaire de La Divina Commedia qu’il avait achetée à Rome.
    « Entre la première et la dernière page de ce livre, est concentrée assez de rébellion pour mettre le monde sens dessus dessous, reprit-il. L’esprit du pays file à la vitesse du télégraphe, Osgood, mais nos institutions s’en tiennent au trot des diligences.
    — En quoi cette publication entacherait-elle la réputation de Harvard ? À ce jour, ils n’ont jamais frappé d’interdit aucune traduction de Longfellow, que je sache.
    — Dieu nous en préserve ! s’écria l’éditeur avec une feinte indignation. Ils sont toujours associés, et c’est un lien que l’on rompt avec peine. »
    De fait, si Fields entretenait avec Harvard des rapports d’affaires, les autres personnes impliquées dans la traduction du poème avaient des attaches autrement plus solides avec cet établissement : Longfellow y avait été le professeur le plus célèbre jusqu’à son départ, une dizaine d’années plus tôt, justifié par son désir de se vouer entièrement à la poésie ; Oliver Wendell Holmes, James Russell Lowell et George Washington Greene y avaient tous trois fait leurs études. Holmes et Lowell y étaient aujourd’hui des professeurs renommés – Holmes était Parkman Professor au Collège de médecine, et Lowell avait succédé à Longfellow a la tête du département de langues et de littératures modernes.
    « Les gens considéreront que ce chef-d’œuvre sort tout droit du cœur de Boston et de l’âme de Harvard, mon cher Osgood. Et cela, Augustus Manning n’est pas fermé au point de ne pas le pressentir. »
     
    À voir le Dr Oliver Wendell Holmes, professeur de médecine et poète, se hâter le long des chemins tracés dans l’herbe haute du Common, on eût pu croire qu’il avait le diable aux trousses. Néanmoins, cela ne l’empêcha pas de s’arrêter deux fois pour apposer sa signature sur une page de cahier. Si vous l’aviez croisé en cet instant, si vous aviez été l’un de ces promeneurs tranquilles qui brusquement, au nom du droit à l’autographe, lui brandissaient carnet et stylo sous le nez, vous auriez pu l’entendre fredonner avec résolution. Dans la poche de son gilet en soie moirée, brûlait un papier plié en deux qui le menait droit au Corner (siège de sa maison d’édition), mais aussi à l’effroi.
    Chaque fois que des admirateurs nommaient leur livre favori, le petit docteur jetait négligemment : « Oh, celui-là  ! », non sans jubiler intérieurement. Et d’ajouter : « Le président Lincoln pouvait le réciter par cœur, dit-on. En vérité, il me l’a avoué lui-même… » Et de rester la bouche ouverte, une expression poupine répandue sur les traits, car son asthme mais aussi la forme de son visage, sa mâchoire molle et ses petites lèvres en avant lui permettaient difficilement de garder la bouche close plus de quelques minutes.
    Passé les chasseurs d’autographes, il ne s’arrêta plus qu’une fois, et encore avec hésitation : à la librairie Dutton & Company. Là, il dénombra trois romans et quatre recueils de poèmes dont les auteurs étaient des New-Yorkais inconnus de lui, des jeunes selon toute vraisemblance. Pas une semaine ne s’écoulait sans que les pages littéraires des journaux n’annoncent la sortie du livre le plus extraordinaire du siècle. La profonde originalité foisonnait en telle abondance qu’unepersonne mal informée eut pu croire qu’il s’agissait d’une denrée des plus courantes. Avant guerre – quelques années plus tôt seulement – on eût dit qu’il n’existait qu’un seul livre au monde :

Weitere Kostenlose Bücher