Le cercle de Dante
entièrement et personne ici n’aura le pouvoir de les arrêter.
— Mais, chef, ils ne cherchent pas là où il faut, ils veulent seulement arrêter quelqu’un pour la gloire. »
Kurtz leva les yeux sur Rey.
« Quant à vous, l’agent, ordre vous a été donné de ne pas quitter l’hôtel de police tant que toute cette affaire n’était pas élucidée, et vous le savez. Dieu sait combien de lunes passeront d’ici là. »
Rey cligna les yeux.
« J’aurais bien des choses à vous dire, chef…
— De même, vous avez instruction de partager avec le détective Henshaw et ses hommes toute information en votre possession, qu’il s’agisse ou non d’un fait avéré. Et ça aussi vous le savez.
— Chef…
— Toute information ! Dois-je vous conduire à lui moi-même ? »
Rey hésita et secoua la tête. Kurtz posa la main sur son bras.
« Parfois, Rey, notre seule satisfaction consiste à savoir que nous avons fait tout ce qu’il était possible de faire. »
En rentrant chez lui à pied, le soir de ce même jour, Rey fut accosté par une silhouette emmitouflée dans un capuchon. Une femme émue, devina-t-il à la vapeur qui s’échappait en légers nuages de dessous sa voilette. Elle baissa sa capuche et écarta la mousseline sombre qui dissimulait son visage. Le regardant droit dans les yeux, elle demanda :
« Vous rappelez-vous de moi, monsieur ? Nous nous sommes rencontrés quand vous cherchiez le professeur Lowell. J’ai là quelque chose que vous devriez voir, à mon avis. »
Elle dégagea un épais paquet de dessous son manteau.
« Comment m’avez-vous trouvé, mademoiselle Lowell ?
— Mabel. Est-il bien difficile de dénicher un policier mulâtre à Boston ? »
Elle conclut sa phrase sur un petit sourire.
Rey resta un moment à considérer le paquet avant de se décider à l’ouvrir. Il contenait des feuilles de papier aux marges couvertes d’explications manuscrites : la traduction de Longfellow annotée par Lowell.
« Je ne pense pas que je vais le prendre. C’est à votre père, n’est-ce pas ?
— Oui. Je crois qu’il a reconnu dans ces meurtres étranges certains traits qui lui rappellent le poème de Dante. Je ne connais pas les détails mais, dès qu’on aborde le sujet, il s’emporte terriblement. Alors, ne lui dites pas que vous m’avez vue. Cela m’a donné bien de la peine, monsieur, de fureter dans son cabinet sans qu’il s’en aperçût.
— Je vous en prie, mademoiselle Lowell, soupira Rey.
— Mabel. » Devant la franchise qu’elle lisait dans les yeux du mulâtre, elle ne pouvait se résoudre à laisser paraître son désespoir. « S’il vous plaît, monsieur. J’ai beau n’être qu’une petite fille, plus petite encore que M me Lowell est petite, comme mon père s’amuse à le dire, je vois bien qu’il se passe des choses : il y a des livres de Dante éparpillés dans toute la maison. Ces derniers temps, Père et ses amis ne parlent que de ça, et avec une gêne et une angoisse dans la voix anormales chez des hommes qui s’adonnent à un travail de traduction. Et puis, j’ai trouvé un dessin représentant un homme les pieds en feu, ainsi que des coupures de journaux sur le révérend Talbot où il est dit qu’il a été retrouvé les pieds carbonisés. Et mon père a étudié le chant consacré aux hommes d’Église scélérats avec ses étudiants Mead et Sheldon. Je le sais, j’ai assisté à la leçon. »
Rey entraîna la jeune fille dans la cour d’un bâtiment voisin où ils prirent place sur un banc libre.
« Mabel, vous ne devez dire à personne d’autre ce que vous savez, lui dit-il. Cela ne servirait qu’à compliquer la situation et à projeter une ombre dangereuse sur votre père et ses amis . Et sur vous-même aussi, c’est à craindre. Des personnes ayant des intérêts dans l’affaire pourraient tirer profit de ces informations.
— Vous le saviez déjà, n’est-ce pas ? Vous devez bien avoir un plan pour arrêter cette folie ?
— À vrai dire, je ne sais pas.
— Vous ne pouvez pas rester les bras croisés, alors que Père… Je vous en prie. »
Ses yeux se remplissaient de larmes malgré ses efforts. Elle déposa de nouveau le paquet entre les mains du policier.
« Prenez ces pages. Lisez-les avant qu’il ne se rende compte de leur disparition. Votre visite à Craigie House, l’autre jour, est forcément liée à ces événements. Je sais que vous pouvez nous
Weitere Kostenlose Bücher