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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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aujourd’hui selon la prophétie de M. Emerson : elle respire la vie et la mort, elle châtie et absout.
    — Voir Dante défiguré, transformé en instrument de meurtre et de vengeance personnelle…, je comprends que vous ne puissiez l’approuver, professeur Ticknor », dit Longfellow pensivement.
    Les mains de Ticknor se mirent à trembler.
    « Ce que nous avons là, Longfellow, c’est un texte des temps anciens converti en une force du temps présent, en une force qui juge, là, sous nos yeux ! Non. Si ce que vous avez découvert est bien la vérité, Dante ne sera pas défiguré quand le monde apprendra ce qui s’est passé à Boston. Il ne sera ni gâté ni perverti, même aux yeux de ceux qui vivront mille ans après nous. Au contraire, il sera révéré comme celui grâce à qui le génie américain se sera manifesté pour la première fois dans toute son authenticité, comme le premier poète qui aura déversé sur les non-croyants le pouvoir majestueux de la littérature tout entière !
    — Dante a écrit pour nous arracher à une époque où la mort était incompréhensible, professeur. Il a écrit pour nous rendre l’espoir quand nous l’avons perdu – nous assurer que nos actions, nos prières, ne sont pas vaines aux yeux de Dieu. »
    Ticknor poussa un soupir résigné et rendit à Longfellow le sac à franges d’or.
    « N’oubliez pas votre cadeau.
    — Vous avez été le premier à croire que c’était possible », répliqua le poète en souriant et il reposa le sac contenant les cendres de Dante dans les vieilles mains de Ticknor.
    Celui-ci s’en saisit comme un enfant se jette sur des bonbons.
    « Je suis trop âgé pour être d’une aide quelconque à qui que ce soit, Longfellow, s’excusa-t-il. Mais puis-je vous donner un avis » ?
    Celui que vous traquez n’est pas Lucifer, Lucifer n’a rien du coupable que vous me décrivez. Lorsque Dante le rencontre enfin dans le Cocyte pris par les glaces, il n’est que stupidité. Il sanglote, incapable de parler. En cela, Dante triomphe de Milton. Nous rêvons d’un Lucifer fabuleux et intelligent, digne que nous le terrassions. Mais Dante ne nous rend pas les choses faciles. La personne que vous traquez, c’est Dante : c’est lui qui décide qui doit être châtié et dans quel cercle de l’enfer il subira son châtiment ; lui qui décide des tourments qu’endurera le coupable. Il est le vrai maître du jeu. Et, s’il se déguise en voyageur, c’est pour mieux nous le faire oublier. Pour nous forcer à croire qu’il n’est, comme nous-mêmes, qu’un témoin innocent de l’œuvre de Dieu. »
     
    Entre-temps, à Cambridge, James Russell Lowell était la proie de fantômes.
    Assis sur sa chauffeuse dans la lumière hivernale qui baignait la pièce, il voyait distinctement le visage de Maria, son premier amour. La ressemblance était telle qu’il se sentait attiré vers cette vision.
    « Bientôt, répéta-t-il, bientôt. »
    De la place où elle était assise, Walter sur les genoux, Maria lui répondit :
    « Voyez comme c’est devenu un grand et beau garçon. »
    Découvrant son mari dans cet état, Fanny le crut pris de délire et insista pour qu’il se mît au lit. Elle allait envoyer chercher un médecin, le Dr Holmes, si Jemmy préférait. Mais Lowell ne l’écouta pas, son sentiment de bonheur était trop puissant. Il quitta Elmwood par la porte de derrière.
    Le bonheur… Pour sa pauvre mère, cela avait été ses essayages, à en croire les récits qu’elle lui en avait faits à l’hospice. Pour Dante, au contraire, il n’y avait pas plus grand malheur que se rappeler le bonheur enfui. Mais comme il se trompait ! songea Lowell. Les plus grands bonheurs n’étaient-ils pas ceux où se mêlaient tristesse et nostalgie ? La joie et la douleur étaient sœurs et se ressemblaient infiniment. La preuve, toutes deux s’accompagnaient de larmes. Et tandis qu’il parcourait les rues en s’efforçant de penser à n’importe quoi sauf à la douce Maria, il ressentit de façon tangible la présence de Walter à côté de lui – Walter, son héritier légitime, le dernier-né que lui avait donné Maria, son fils qui n’avait pas vécu. Cette présence fantomatique était moins une image qu’une sensation de babillage qui l’attrista, une sensation ancrée en lui comme peut l’être chez la femme enceinte la vie qui prend corps dans son ventre. Soudain, il crut apercevoir Pietro Bachi qui le

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