Le cercle de Dante

immédiatement ! »
    L’oreille aux aguets, Lowell posa sa main sur la bouche de Fields et désigna la porte fermée. Plusieurs minutes s’écoulèrent dans le silence avant que des bruits de pas ne parvinssent aux deux amis accroupis derrière le canapé : la bonne conduisait le visiteur à l’étage par l’escalier principal. Respectant les instructions de son maître, elle le fit entrer dans la pièce vide et referma très vite la porte sur lui.
    « Il y a quelqu’un ? demanda l’inconnu. Qu’est-ce que c’est que ce salon ? Que signifie tout cela ? »
    Lentement, Lowell se releva de derrière le canapé, le fusil braqué sur l’homme au gilet écossais.
    Celui-ci ne put retenir un cri. Plongeant la main dans son manteau, il en sortit un revolver qu’il pointa sur Lowell.
    Le poète ne cilla pas.
    La main de l’inconnu tremblait violemment, et le bourrelet que faisait le gant de cuir autour de son index frottait dangereusement la détente du revolver.
    À l’autre bout de la pièce, Lowell releva son arme plus haut que sa longue moustache, laquelle semblait d’un noir de jais dans la pénombre. Un œil fermé, il fixait l’homme au bout de son fusil.
    « Osez me défier, misérable ! siffla-t-il entre ses dents tout en armant son fusil. Vous n’avez aucune chance ! Ou le ciel vous attend, ou l’enfer. »

13.
    L’inconnu tint encore un moment son revolver braqué sur Lowell et, brusquement, le jeta sur le tapis.
    « Ces bêtises ne valent pas la peine que je risque ma vie !
    — Monsieur Fields, ramassez son pistolet, voulez-vous ? dit Lowell sur un ton anodin, comme si la situation était de celles qu’un éditeur et un poète rencontrent tous les jours de leur vie. Et maintenant, racaille, vous allez nous dire qui vous êtes et ce que vous nous voulez ! Que faisiez-vous avec Pietro Bachi ? Pourquoi M. Sheldon vous donnait-il des ordres dans la rue ? Et que venez-vous faire chez moi ! »
    Fields alla récupérer le pistolet par terre.
    « Rangez votre arme, professeur, ou je ne dirai rien, répliqua l’homme.
    — Écoutez-le, Lowell », chuchota Fields à la satisfaction du compère.
    Lowell baissa son fusil.
    « Très bien. Mais, dans votre intérêt, je vous conseille de jouer franc jeu. »
    Il rapprocha une chaise à l’intention de leur otage qui répétait sans relâche que tout cela ne rimait à rien.
    « Je ne crois pas que nous ayons eu le plaisir d’être présentés avant que vous ne dirigiez un fusil sur ma tête, dit enfin le visiteur. Je m’appelle Simon Camp et je travaille à l’agence de détectives Pinkerton. J’ai été engagé par le Dr Augustus Manning, de l’université de Harvard.
    « Par le Dr Manning ! s’écria Lowell. Mais pour faire quoi ?
    — Voir ce qu’il en est des cours que vous dispensez sur ce M. Dante ; démontrer, le cas échéant, qu’ils sont susceptibles de produire un “effet pernicieux” sur les élèves ; et rapporter au Dr Manning mes conclusions.
    — Et quelles sont-elles ?
    — Je m’occupe de toute la région de Boston pour l’agence Pinkerton, vous savez. Cette petite affaire n’a pas eu ma priorité. Néanmoins, j’ai effectué le travail attendu. J’ai invité un ancien professeur, M.  Baksee, à me retrouver sur le campus et j’ai interrogé plusieurs étudiants. Cet insolent jeune homme du nom de M. Sheldon ne me donnait pas d’ordres, professeur. Il me disait que faire de mes questions. Et dans un langage trop vert pour que j’ose répéter ses propos à une compagnie portant de jolis manteaux à col de velours.
    — Et qu’ont dit les autres ? voulut savoir Lowell.
    — La confidentialité est un devoir que je ne saurais transgresser, professeur, ricana Camp. Toutefois, il m’est apparu opportun de m’entretenir avec vous, de découvrir ce que vous-même pensiez de Dante. Voilà pourquoi je me rendais chez vous aujourd’hui. Parlez-moi d’un accueil ! »
    Fields plissa les yeux, perplexe.
    « Est-ce Manning qui vous l’a demandé ?
    — Je ne travaille pas sous sa houlette, monsieur, répondit Camp avec hauteur. Dans cette affaire, je suis mon seul maître, je me fais mon propre jugement. Vous avez de la chance que j’aie retenu mon doigt d’appuyer sur la détente, professeur Lowell.
    — Oh, ce Manning va m’entendre ! » s’écria Lowell. Bondissant sur ses pieds, il alla se pencher au-dessus du détective. « Vous vouliez savoir ce que j’avais à dire,