Le cercle de Dante
larmes.
« Vous entendrez parler de moi, monsieur Fields, hurla-t-il au moment de partir, je le jure devant Dieu ! Si seulement vous m’aviez introduit dans votre cercle… » Il marqua une pause. « Vous savez, je passe pour un homme intelligent dans la bonne société ! »
Une semaine s’écoula sans apporter de progrès dans l’enquête – une semaine entière sans que les Amis de Dante ne découvrissent un soldat qui connût l’œuvre de Dante.
De son imprimerie, Oscar Houghton envoya un message à Fields pour lui faire savoir qu’aucune épreuve ne manquait. Le cercle sentit tous ses espoirs s’envoler.
À l’hôtel de police, Nicholas Rey avait le sentiment de faire l’objet d’une surveillance accrue. Néanmoins, il s’obstinait à interroger Willard Burndy. L’annonce du procès avait porté un coup terrible au cambrioleur. Quand il ne parlait pas, il semblait privé de vie.
« Vous ne vous en sortirez pas tout seul, lui serinait Rey. Je sais que vous n’avez pas tué Talbot, mais je sais aussi que vous avez été vu près de sa maison, le jour où son coffre-fort a été forcé. Ou vous me dites ce que vous y faisiez ou vous êtes bon pour le gibet. »
Un jour, après avoir longuement étudié le policier, Burndy finit par hocher vaguement la tête.
« D’accord, j’ai repéré le coffre-fort à Talbot, mais c’est pas moi qui l’a forcé. Vous m’croirez pas, j’y crois pas moi-même. C’est un cinglé qui a fait le coup. Y m’avait promis deux cents dollars si j’y apprenais à forcer certain coffre-fort. Je m’suis dit que ça m’ferait un petit extra pas compliqué – et sans risque de m’faire pincer ! Sur mon honneur de gentleman, j’savais pas que la maison appartenait à un frère de robe. Je l’a pas refroidi ! Et même que je lui aurais piqué ses sous, j’les aurais pas rendus après !
— Pourquoi êtes-vous allé chez Talbot ?
— Pour repérer les lieux. Le cinglé, l’avait l’air d’être sûr que l’pasteur y était pas. Alors, j’ai jeté un œil pour m’faire une idée. J’ai juste entré pour voir la marque du coffre-fort. » Burndy eut un sourire stupide dans l’espoir de s’attirer un peu de compassion. « Y avait pas d’mal à ça, pas vrai ? C’était un modèle tout simple, ça m’a pas pris cinq minutes d’y expliquer comment s’y prendre. J’y ai fait un croquis sur une serviette dans une taverne. J’aura dû penser que le type, il était fêlé de la tête. M’a dit qu’y voulait seulement mille dollars – qu’y prendrait pas un rond de plus. Z’imaginez ça ? Écoutez, mon gars, vous allez pas dire que j’ai cambriolé le pasteur, sinon j’serai pendu, pour sûr ! Le cintré qui m’a payé pour faire le coffre-fort, c’est lui qu’a descendu Talbot, Healey et Jennison !
— Dites-moi le nom de ce type, dit Rey calmement, sinon c’est la potence, monsieur Burndy.
— Y faisait nuit et je m’étais un peu laissé aller sur la bouteille, savez, à la taverne Stackpole. Maintenant, j’ai l’impression que ça s’est passé très vite, comme si que j’avais rêvé et que c’est devenu la vérité seulement après. Je pouvais pas vraiment voir sa bobine, au type, en tout cas je m’rappelle rien.
— Vous n’avez rien vu ou vous n’arrivez pas à vous rappeler, monsieur Burndy ? »
Le prisonnier se mordilla la lèvre et finit par lâcher à contrecœur :
« J’sais juste une chose : que c’était l’un de vous. »
Rey attendit la suite un moment.
« Un nègre ? » demanda-t-il.
Les yeux roses de Burndy s’enflammèrent, il parut au bord de l’apoplexie.
« Ben non ! Un Billy Yank, j’veux dire, un ancien combattant ! » Il se força au calme. « L’était assis devant moi en grand uniforme et tout, comme si qu’il était à Gettysburg {37} et faisait des moulinets avé l’drapeau ! »
Gérés de façon autonome, les foyers pour anciens combattants recevaient de maigres subsides de la part des organismes officiels de Boston, guère plus que des paniers de nourriture deux ou trois fois par semaine. Six mois s’étaient écoulés depuis la fin de la guerre, et la municipalité était de plus en plus réticente à allouer des subventions. Les meilleurs établissements étaient le plus souvent rattachés à une paroisse et avaient pour ambition d’édifier leurs protégés. Outre la nourriture et le vêtement, ils offraient un soutien religieux et des
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