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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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de l’avant, ne jamais s’arrêter.
    De petites bêtes frétillantes infestaient également l’eau à boire, à cause des chevaux morts et de la viande putréfiée que les soldats entassaient parfois dans les ruisseaux. Malaria ou dysenterie, toutes les maladies étaient recensées sous le nom de « fièvre du camp », et le chirurgien, incapable de distinguer les vrais malades des faux, trouvait généralement plus simple de ranger tout le monde dans la catégorie des tire-au-flanc. Un jour, Galvin avait vomi huit fois en vingt-quatre heures et, la dernière fois, uniquement du sang. À l’infirmerie, pendant qu’il attendait la visite du chirurgien qui lui prescrirait de la quinine et de l’opium, il avait vu les assistants balancer par la fenêtre tantôt un bras, tantôt une jambe, et cela toutes les deux ou trois minutes.
    À l’infirmerie, il n’y avait pas que des malades, il y avait aussi des livres, ceux que leurs familles envoyaient aux gars de la troupe et que le chirurgien auxiliaire gardait dans sa tente. Galvin, nommé bibliothécaire, aimait bien regarder les images. Parfois, l’adjudant-chef ou quelqu’un d’autre faisait la lecture pour tout le monde. Dans la bibliothèque, Galvin découvrit un bel exemplaire bleu et or des poèmes de Longfellow. Bien qu’il ne sût pas lire le nom de l’auteur sur la couverture, il le reconnut à la gravure imprimée en frontispice, car c’était un livre qu’aimait son épouse. Harriet Galvin disait souvent que, chez Longfellow, les personnages découvraient toujours une voie vers la lumière, même au plus profond de leur désespoir. Ainsi, au terme de longues années d’errance en pays étranger, Evangeline retrouvait-elle son amoureux, hélas pour le voir périr des fièvres entre ses bras. Galvin s’imaginait sous les traits du héros, Harriet auprès de lui, et cela le réconfortait de tous ces morts alentour.
    Il avait quitté la ferme de sa tante pour la première fois de sa vie le jour où un orateur itinérant, partisan de l’abolitionnisme, était venu haranguer la foule. Il l’avait suivi jusqu’à Boston. Là-bas, il avait été assommé par deux Irlandais braillards qui voulaient empêcher la réunion. Recueilli par l’un des organisateurs, le temps de se remettre, il avait fait la connaissance de sa fille, Harriet, laquelle s’était éprise de lui. La demoiselle n’avait jamais rencontré avant lui, même parmi les amis de son père, quelqu’un qui professât une certitude aussi simple du bien et du mal, des convictions dénuées de tout opportunisme politique ou social. « Parfois, lui disait-elle tandis qu’il lui faisait sa cour, je pense que vous aimez votre mission plus que n’importe qui au monde. » Mais il était trop simple pour considérer qu’il accomplissait une mission.
    La jeune fille avait pleuré lorsqu’il lui avait appris qu’il avait perdu ses parents tout enfant, de la fièvre noire. Elle lui enseigna l’alphabet en lui faisant recopier les lettres sur une ardoise ; il savait déjà écrire son nom. Ils se marièrent le jour même où il décida de partir à la guerre. Harriet lui promit qu’au retour elle lui apprendrait tout ce qu’il fallait savoir pour lire un livre entier sans l’aide de personne – c’est pourquoi il devait revenir vivant. Allongé sur sa couchette de planches, Galvin restait des heures à penser à la voix douce et musicale de son épouse.
    Quand l’ordre était donné de bombarder, il y avait des hommes qui étaient pris de fous rires incontrôlables pendant qu’ils servaient le canon, d’autres qui poussaient des cris perçants, mais tous avaient le visage noir de poudre à force de déchirer les cartouches avec leurs dents. Certains chargeaient et tiraient sans même viser. Ceux-là, Galvin les trouvaient vraiment fous. Les canons tonnaient au-dessus de la scène dans un vacarme assourdissant. Les explosions étaient si terrifiantes que les lapins fuyaient leurs terriers et, dans la fumée qui montait du sang des morts éparpillés sur le champ de bataille, on voyait leurs petits corps tremblant d’effroi sauter au milieu des cadavres.
    Les survivants avaient rarement la force de creuser des tombes assez profondes pour tous leurs camarades. Résultat, les paysages se hérissaient de bouts de corps dépassant ici ou là : des genoux, des bras, des têtes, que la première pluie mettrait à nu. Galvin regardait ses compagnons raconter tant bien que mal les

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