Le cercle de Dante

arriva sous peu.
    Vingt minutes s’écoulèrent sans apporter aucune nouvelle du Dr Holmes ni de Nicholas Rey.
    « Nous n’aurions pas dû lâcher le policier d’une semelle, grommela Lowell dans sa moustache.
    — Je ne comprends pas que Wendell ne soit pas déjà là, renchérit Fields avec inquiétude. Quand je me suis arrêté chez lui, il était déjà parti, à ce que m’a dit M me  Holmes.
    — Cela ne fait pas si longtemps », fit remarquer Longfellow, mais il gardait les yeux fixés sur la pendule.
    Lowell enfouit son visage dans ses mains. Lorsqu’il glissa un œil entre ses doigts, dix minutes s’étaient écoulées. Il s’apprêtait à reprendre sa pose quand une pensée le glaça.
    « Nous devons retrouver Wendell sur-le-champ !
    — Qu’y a-t-il ? demanda Fields, alarmé par l’expression d’horreur de Lowell.
    — C’est Wendell ! Au Corner, je l’ai traité de félon ! »Fields sourit avec bienveillance.
    « Il l’a oublié depuis longtemps, mon cher Lowell. »
    Mais celui-ci était si bouleversé qu’il dut se raccrocher à la manche de l’éditeur pour ne pas tomber.
    « Comprenez donc ! C’est lui la prochaine victime ! Le soir où nous nous sommes disputés au Corner, quand il voulait abandonner la traduction… Le jour où il avait découvert Jennison déchiqueté… Eh bien Teal, ou plutôt Galvin, était dans le couloir. Il nous avait certainement écoutés comme il a pu écouter les délibérations du Conseil de Harvard. Et moi, j’ai coursé Holmes dans le couloir en hurlant. Vous ne vous rappelez pas ce que je lui ai dit ? N’avez-vous plus ma voix dans vos oreilles ? J’ai crié à Holmes qu’il était un traître. J’ai dit qu’il trahissait le cercle des Amis de Dante.
    — Ressaisissez-vous, par pitié ! dit Fields.
    — Teal a assisté aux sermons de Greene et leur a donné vie sous forme de meurtres. En disant à Wendell qu’il était un traître, j’ai signé sa condamnation. Teal a été témoin de mon éclat, un témoin attentif ! s’écria Lowell. Oh, mon cher ami, je vous ai tué. J’ai assassiné Wendell ! »
    Pleurant presque, il se précipita dans le vestibule pour récupérer son manteau.
    « Il sera là d’un instant à l’autre, je n’en doute pas, déclara Longfellow. Je vous en prie, Lowell, attendons au moins l’agent de police.
    — Non, je pars de ce pas à la recherche de Wendell !
    — Où comptez-vous le trouver ? dit Longfellow. Vous n’allez pas partir seul, nous venons avec vous !
    — Je l’accompagne ! » déclara Fields. Il s’empara du sifflet laissé par l’agent de police et le secoua pour vérifier que le grelot fonctionnait. « Je suis sûr que tout ira très bien. Restez ici pour attendre Wendell, voulez-vous Longfellow ? Nous allons envoyer le policier de garde chercher Rey immédiatement. »
    Longfellow acquiesça d’un signe de la tête.
    « Venez donc, Fields ! hurlait Lowell au bord des larmes. Ne perdons pas de temps ! »
    L’éditeur s’élança à sa suite. Lowell dévalait déjà le chemin en direction de Brattle Street.
    « Mais où est donc passé ce fichu policier ? demanda Fields. La rue est déserte. »
    Un froissement se fit entendre parmi les arbres, derrière la haute barrière entourant la propriété de Longfellow. Un doigt sur les lèvres, Lowell intima le silence à son compagnon. S’étant approché doucement de la source du bruit, il se figea dans l’attente.
    Un chat atterrit à ses pieds et s’enfuit au loin, se dissolvant dans l’obscurité. Lowell laissa échapper un soupir soulagé. Juste à ce moment-là, un homme franchit la palissade et s’abattit sur sa tête. Le poète s’effondra d’un coup, comme une voile dont le mât s’est fendu. Écroulé par terre, il avait le visage tellement immobile qu’il en était presque méconnaissable.
    L’éditeur recula. Relevant les yeux, il croisa le regard de Dan Teal. Une sorte de ballet étrange commença alors entre le patron et l’employé, Fields reculant toujours, Teal se rapprochant inéluctablement.
    « Monsieur Teal, je vous en prie. »
    Face au masque impassible de son commis, Fields se sentit flancher. Il se prit les pieds dans une branche tombée. Opérant un demi-tour, il s’élança dans une course éperdue jusqu’en bas de Brattle Street, trébuchant, essayant d’appeler, de crier, mais incapable de produire autre chose qu’un vague croassement emporté par le vent qui