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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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batailles dans des lettres à leur famille, et il se demandait comment ils arrivaient à mettre en mots ce qu’ils avaient vu, entendu ou ressenti parce que ces choses se situaient bien au-delà de tous les discours. D’après un camarade, presque un tiers de la compagnie avait été massacré dans la dernière bataille, simplement parce que l’envoi de renforts avait été annulé sur ordre d’un général qui voulait mettre Burnside, leur général à eux, dans l’embarras et obtenir ainsi son éloignement. Plus tard, cet autre général avait reçu de l’avancement. Et Galvin, qui venait d’être promu sous-officier, avait demandé à un sous-officier d’une compagnie voisine comment une chose pareille était possible.
    « Eh bien, ça fait deux ânes de plus, et des soldats de tués ! » avait ricané méchamment le sergent LeRoy.
    Pourtant, affirmait l’adjudant-chef qui aimait lire, cette guerre-là n’était rien, comparée à la campagne de Napoléon en Russie. Une vraie boucherie, disait-il.
    Galvin était gêné de demander à d’autres d’écrire à sa femme, comme le faisaient ses camarades peu ou prou illettrés. Moyennant quoi, il lui envoyait les lettres qu’il trouvait sur des rebelles tués, pour qu’à Boston elle sache de première main comment ça se passait à la guerre. Il écrivait son nom en bas, comme ça elle savait de qui venait la lettre, et il y ajoutait un pétale de fleur ou une feuille spécialement cueillie à son intention. Il ne voulait déranger personne, pas même ceux de ses compagnons qui aimaient écrire. Ils étaient tous tellement fatigués – épuisés, vraiment.
    Souvent, avant la bataille, Galvin pouvait dire sans se tromper lequel d’entre eux ne verrait pas le soleil se lever le lendemain -et ça, rien qu’à son expression : un air ralenti, comme s’il dormait debout.
    « L’Union peut bien aller en Enfer pourvu que je rentre chez moi ! » entendit-il un jour un officier s’écrier.
    Contrairement à bon nombre de ses camarades, Galvin ne s’irritait pas de voir les rations diminuer, il n’y faisait même pas attention. La plus grande partie du temps, il n’avait ni goût ni odorat et il entendait à peine sa propre voix. Ne trouvant plus de satisfaction dans la nourriture, il prit l’habitude de s’occuper la bouche en suçant des cailloux ou en mâchonnant des petits bouts de papier qu’il arrachait aux livres de la bibliothèque ou aux lettres trouvées sur les rebelles.
    Un gars de la troupe, laissé seul au campement parce qu’il était incapable de marcher plus longtemps, avait été retrouvé deux jours plus tard assassiné, et son portefeuille envolé. Galvin disait à qui voulait l’entendre que cette guerre était pire que la campagne de Russie de Napoléon. On lui donnait de la morphine et aussi de l’huile de ricin contre la diarrhée. Le docteur lui avait prescrit des poudres qui le laissaient étourdi et angoissé. Il ne lui restait plus qu’une seule culotte, et les fournisseurs ambulants, qui suivaient l’armée dans leurs diligences, réclamaient deux dollars cinquante pour une paire qui valait tout juste trente cents. Lorsque l’un d’eux le prévint qu’il ne baisserait pas son prix, mais au contraire l’augmenterait s’il attendait trop, Galvin faillit lui faire rentrer ses paroles dans la bouche à coups de gourdin. Ce jour-là, il demanda à l’adjudant-chef d’écrire pour lui une lettre à Harriet, afin qu’elle lui envoie deux paires de caleçons en laine. De toute la guerre, ce fut la seule lettre personnelle qu’il envoya à sa femme.
    L’hiver, il fallut dégager les corps gelés à la pioche. Puis la chaleur revint. Un jour, la compagnie C découvrit dans les chaumes un champ entier de nègres morts qui n’avaient pas été enterrés. D’abord, Galvin s’émerveilla du nombre de ces nègres portant l’uniforme bleu, puis il comprit : ce qu’il avait sous les yeux, c’étaient des cadavres de Blancs carbonisés par la chaleur et couverts de vermine après toute une journée passée sous le soleil du mois d’août. Ils s’étaient affalés dans les positions les plus incroyables au milieu d’innombrables chevaux morts, dont certains semblaient s’être gentiment agenouillés pour permettre à un enfant de les seller.
    Peu après, Galvin entendit rapporter que des généraux de l’Union renvoyaient des esclaves fugitifs à leurs maîtres et bavardaient avec les esclavagistes comme

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