Le cercle de Dante

bibliothécaire lui montra dans le journal la publicité d’un certain M. Pietro Bachi, et Teal pria le répétiteur de lui donner des leçons. Celui-ci débarqua chez lui, les bras chargés de grammaires et de manuels d’exercices dont il était l’auteur pour la plupart. Mais ces livres n’avaient rien à voir avec Dante !
    À un certain moment, Bachi proposa de lui céder une édition commémorative de La Divine Comédie publiée à Venise. Teal retourna le volume entre ses mains sans éprouver la moindre émotion, malgré les dithyrambes de Bachi sur sa beauté et sa reliure en cuir. Encore une fois, ce n’était pas Dante.
    Heureusement, Greene réapparut peu après, au foyer, et Dante effectua son entrée fracassante dans la région de l’Enfer réservée aux Schismatiques.
    Alors, le destin s’adressa à Dan Teal avec la force du canon qui tonne. Comme Dante, il avait été témoin du péché impardonnable qui consiste à diviser les hommes en suscitant des schismes. Et le coupable n’était autre que Phineas Jennison : un homme qui, chez Ticknor et Fields, parlait de protéger Dante et incitait ses chantres à se rebeller contre Harvard, mais qui, à Harvard, condamnait Dante et pressait la Corporation d’empêcher par tous les moyens Longfellow, Lowell et Fields de mener à bien leur belle entreprise. Et c’est ainsi que Teal en vint à conduire Jennison jusqu’au port de Boston par les tunnels des esclaves et, de là, au fort Warren, où il le passa au fil de son sabre. Jennison supplia, pleura, lui promit des sommes faramineuses. En retour, Teal lui promit la justice. Il le découpa avec soin et enveloppa ses blessures. Il ne pensait jamais à ses actes comme à des meurtres, parce que les souffrances infinies qu’il faisait subir à ses victimes, ces atroces sensations qu’il enfermait pour l’éternité dans leurs corps de pécheur, ce n’était pas lui qui les décidait, c’était le contrapasso qui l’exigeait. Voilà pourquoi il trouvait Dante si réconfortant.
    Aucun de ces supplices n’était nouveau pour lui : il les avait tous déjà vus, perpétrés à petite ou à grande échelle dans la vie de tous les jours, à Boston comme sur les champs de bataille.
    Lorsque, par la suite, le révérend Greene fustigea la traîtrise dans une série de sermons extatiques, Teal en conclut que le cercle des Amis de Dante se réjouissait de voir ses ennemis défaits. Les Traîtres étaient les pires de tous les pécheurs rencontrés par Dante au cours de son voyage. Comme c’était au bord d’un lac gelé que le poète révélait leur forfaiture, Teal avait donc choisi de sceller Augustus Manning et Pliny Mead dans la glace. Dans la lumière du petit matin, il les contempla, vêtu de son uniforme de sous-lieutenant – tenue dans laquelle il avait regardé l’indifférent Artemus Healey être dévoré vif par des insectes ; le Simoniaque Elisha Talbot battre des jambes, les pieds en feu, la tête enfoncée dans son coussin d’argent maudit ; et le Schismatique Phineas Jennison, déchiqueté et tailladé, tressauter au bout de son crochet.
    Mais Lowell, Fields, Holmes et Longfellow étaient arrivés à l’improviste, et pas pour le féliciter ! M. Lowell avait tiré sur lui avec son fusil et M. Fields lui avait crié de tirer encore. Teal en avait eu le cœur déchiré. Jusque-là, il avait cru que les protecteurs de Dante qui se réunissaient au Corner, surtout ce Longfellow qu’adorait Harriet, embrassaient totalement les objectifs de Dante. À présent, il se rendait compte qu’ils ne comprenaient pas la tâche attendue d’un cercle des Amis de Dante. Il restait tant de choses à achever, tant de cercles à ouvrir pour qui voulait rendre Boston meilleur. Une scène, surprise au Corner, lui revint à l’esprit : Lowell jaillissant telle une furie de la salle des Auteurs en hurlant au Dr Holmes qui l’avait embouti : « Vous avez trahi le cercle des Amis de Dante, vous avez trahi le cercle des Amis de Dante. »
     
    « Maintenant, retournez-vous, docteur Holmes ! » ordonna Teal. Ils étaient tombés nez à nez dans les tunnels des esclaves. « J’étais justement à votre recherche. »
    Holmes obtempéra et se retrouva dos au soldat en uniforme. La lumière diffuse et tremblante de sa lanterne éclaira devant lui un long chenal creusé dans l’abysse rocheux.
    « C’est la volonté du destin que vous m’ayez trouvé, dit encore Teal, et il lui intima l’ordre