Le cercle de Dante
avait entendu à travers la cloison le juge suprême Healey renoncer à défendre Dante. Par ailleurs, il savait que son adjudant-chef à la compagnie C, celui qui aimait lire, avait conservé dans des boîtes fabriquées tout exprès les milliers d’insectes qu’il collectait pendant les marches à travers les marécages gluants des États du Sud. Teal lui acheta un échantillon de mouches mortelles et de larves, ainsi qu’une ruche entière de guêpes. Puis il suivit le juge jusque chez lui à Wide Oaks et l’observa faire ses adieux à sa famille.
Le lendemain matin, il entra par l’arrière dans la maison et assomma le juge d’un violent coup de crosse de son pistolet. L’ayant dévêtu, il empila soigneusement ses vêtements puis le transporta dehors. Là, il déposa des larves et des insectes sur sa blessure et planta un drapeau dans le terrain sablonneux, car c’était ainsi que Dante avait découvert les Indifférents : massés derrière un signal semblable. Ces choses étant faites, il eut le sentiment d’avoir désormais rejoint le poète et de marcher avec lui, parmi les égarés, sur le long et périlleux chemin du salut.
La semaine où Greene, malade, ne prêcha pas au foyer des soldats, Teal se sentit déchiré. Puis le pasteur revint avec un sermon consacré aux Simoniaques. Or, depuis un certain temps déjà, Teal connaissait l’arrangement passé entre la Corporation de Harvard et le révérend Talbot. Cet accord, qui avait fait l’objet de plusieurs débats à University Hall, l’alarmait au plus haut point. Ainsi, un prédicateur acceptait de l’argent pour enterrer Dante, pour dissimuler au public son œuvre inouïe ? Comment pouvait-on brader la grandeur de son ministère pour mille malheureux dollars ? Et lui, que pouvait-il faire, ignorant qu’il était du châtiment réservé à ce crime ?
Au cours de ses nuits d’errance dans les tavernes louches, au retour de la guerre, Teal avait fait la connaissance d’un cambrioleur du nom de Willard Burndy. Il le retrouva sans peine. L’homme était un ivrogne, ce qui l’exaspérait. Néanmoins, il accepta de le payer pour qu’il lui apprît comment forcer le coffre-fort du révérend Talbot. Burndy discourut, se plaignit de Langdon Peaslee qui marchait sur ses brisées et finit par conclure qu’il ne risquait rien à enseigner à un autre larron comment ouvrir un coffre à la serrure toute simple.
Teal se rendit à la Seconde Église unitarienne par les tunnels creusés pour les esclaves en fuite. Là, il espionna le pasteur. Tous les après-midi, Talbot descendait dans la crypte dans un état de grande excitation. Teal compta ses pas – un, deux, trois – afin de se faire une idée du temps qu’il fallait au pasteur pour atteindre l’escalier. De même, il l’observa de loin, estima sa taille et, sitôt son départ, traça sur le mur une marque à la craie. Ensuite, il creusa un trou assez profond pour que la victime eût les pieds à l’air, une fois plantée la tête en bas. Mais, auparavant, il prit soin d’enterrer au fond l’argent dérobé. Le dimanche après-midi, il maîtrisa le révérend Talbot, lui arracha sa lanterne et en versa le kérosène sur ses pieds.
Ayant châtié le Simoniaque, Dan Teal fut convaincu que le cercle des Amis de Dante serait fier de lui. Il se demanda quand avaient lieu ces rencontres hebdomadaires chez M. Longfellow, dont avait parlé le révérend Greene. Le dimanche, pensa-t-il, le jour du Sabbat.
En se renseignant de-ci, de-là, du côté de Cambridge, il eut tôt fait d’apprendre que Longfellow vivait dans une grande demeure coloniale jaune. Par une fenêtre latérale, il observa l’intérieur de la maison. Rien ne laissait présager une réunion. Et s’il y eut branle-bas entre ces murs, ce fut parce que les boutons dorés de son uniforme avaient brillé sous la lune et que Longfellow s’était épouvanté en apercevant son visage collé au carreau. Pourtant, il n’était vraiment pas dans son intention d’importuner le cercle des Amis de Dante. Non, pas question pour lui d’interrompre la tâche des messieurs qui étaient les gardiens de Dante.
Une nouvelle fois Greene ne vint pas au foyer des anciens combattants, et sans même l’excuse d’être souffrant ! La déception de Teal fut immense. Il se rappela le conseil donné au capitaine Blight : apprendre l’italien. À la bibliothèque municipale, il s’enquit d’un endroit où étudier cette langue. Le
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