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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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salle du Trône, le salon était à présent surnommé l’iceberg de Ticknor. Ses attitudes d’oisif raffiné et ses convictions antiabolitionnistes avaient fait tomber l’ancien professeur en disgrâce, et aussi ceux qui le fréquentaient. Toutefois, en matière de littérature, il demeurait toujours le grand maître.
    « Ma vie s’use à subir les importuns, mon cher Holmes, répondit Fields en poussant un soupir. Ces temps-ci, la seule vue d’un manuscrit me fait l’effet d’un espadon : elle me coupe en deux. »
    Il resta un long moment à considérer son interlocuteur avant d’accepter qu’il se rendît à Park Street à sa place. En réalité, et Holmes le savait, Fields était soulagé de ne pas avoir à discuter lui-même avec George Ticknor ou plutôt avec le professeur Ticknor, car celui-ci insistait pour qu’on lui donnât son titre bien qu’il eût cessé d’enseigner depuis plus de trente ans. Il n’avait jamais tenu son jeune cousin, William D. Ticknor en haute estime, et son mépris s’étendait à ses associés, autrement dit à Fields. D’ailleurs, il ne manqua pas de le rappeler à Holmes, à peine celui-ci eut-il grimpé l’escalier en colimaçon du 9, Park Street.
    « Cette façon de brasser bruyamment les bénéfices, de considérer les livres comme des profits ou des pertes…, c’est une maladie, docteur Holmes », laissa tomber Ticknor. Ses lèvres sèches se gonflèrent de répulsion. « Et je crains fort que mon cousin William n’ait transmis le mal à mes neveux. Les gens que leur labeur oblige à transpirer ne doivent pas se mêler de diriger les arts littéraires. N’êtes-vous pas de mon avis, Holmes ?
    — Vous conviendrez cependant que M. Fields n’est pas dénué de perspicacité. Il a su tout de suite que votre Histoire serait un succès, professeur. De même, il pense que le Dante de Longfellow trouvera un public. »
    En réalité, L’histoire de la littérature espagnole de Ticknor n’avait touché que peu de lecteurs hormis les abonnés aux magazines, mais le professeur voyait dans ce fait le signe même de son succès.
    Ticknor ne réagit pas à la loyauté manifestée par Holmes à l’égard de son éditeur. Assis dans son fauteuil, en pantoufles et bonnet de velours pourpre, il travaillait à une lettre quand son visiteur s’était fait annoncer. Il avait entrepris de dégager délicatement ses doigts de la grosse machine – sa presse d’imprimerie miniature, comme il l’appelait – qu’il avait fait construire quand ses mains avaient commencé à trembler trop. Cela faisait maintenant plusieurs années qu’il n’avait plus rien écrit de façon autonome.
    Pour la seconde fois, Ticknor promena un regard critique sur son vis-à-vis pour se convaincre de la bonne coupe de ses vêtements, de la qualité de sa cravate et de sa pochette.
    « M. Fields sait peut-être quels écrits les gens lisent, docteur, mais je crains qu’il ne comprenne jamais tout à fait la raison qui les pousse à le faire. Il se laisse entraîner par l’enthousiasme d’amis proches. Propension qui n’est pas sans danger.
    — Vous avez toujours professé la nécessité de répandre les cultures étrangères parmi la classe instruite », rappela Holmes.
    Il se tapota délicatement le front à l’aide de son mouchoir. Les rideaux de la bibliothèque étaient tirés et le feu, qui brûlait dans l’âtre sur un lit de cendres accumulées depuis des années, éclairait faiblement le vieux maître. En fait d’iceberg, l’antre de Ticknor était une fournaise.
    « Comprendre nos propres étrangers ne se fera pas d’un coup de baguette magique, docteur Holmes. Si nous ne plions pas les nouveaux arrivants à notre caractère national, si nous ne les amenons pas à accepter de bon gré nos institutions, c’est la multitude au-dehors qui finira un jour par nous plier.
    — En ce qui concerne la traduction de M. Longfellow…, insista Holmes.
    — Il ne fait à mes yeux aucun doute que M. Longfellow produira quelque chose d’étonnant. N’est-ce pas la raison pour laquelle je l’ai choisi pour me succéder à Harvard ? Néanmoins, rappelez-vous que, moi aussi, j’ai tenté jadis d’introduire Dante dans ce pays. Jusqu’à ce que la Corporation ne fasse de mon poste une triste farce. »
    Une ombre passa dans ses yeux vifs.
    « Je ne croyais pas vivre assez longtemps pour voir un Américain s’atteler à cette tâche. Je ne sais comment il

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