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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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rien.
    Longfellow négligea la phrase laissée en suspens. Il se mit à lire ce chant consacré à Ulysse, puis exposa ses idées sur le sujet. Son sourire, aujourd’hui tendu et usé, semblait emprunté à une séance précédente.
    En Enfer, Ulysse se retrouvait en compagnie des Fourbes Conseilleurs sous la forme d’une flamme privée de corps dont l’extrémité s’agitait à la façon d’une langue qui parle. Certaines âmes se refusaient à raconter leur histoire ; d’autres au contraire faisaient montre d’une véritable inconvenance, tant leur désir de parler était grand. Ulysse, lui, était au-dessus de ces deux vanités.
    En vieux soldat qu’il était, avouait-il à Dante, il n’avait pas voulu après la guerre de Troie faire voile pour Ithaque où l’attendaient son épouse et les siens, il avait préféré enrichir ses connaissances. Faisant fi du destin, il avait convaincu son petit équipage de poursuivre le voyage au-delà de la ligne qu’aucun mortel ne devait franchir. Une tornade s’était levée, la mer les avait engloutis.
    Greene fut le seul à prendre la parole.
    « Je pense que nous devrions considérer la façon dont lord Tennyson s’est inspiré de Dante dans l’interprétation de cette même scène », proposa-t-il avec un sourire mélancolique. Et de réciter de mémoire, savourant les vers avec délectation : « Qu’il est triste de s’arrêter , d’accepter la fin / Et de se rouiller dans l’inaction, au lieu de se polir par l’usage ! / Comme si respirer était vivre ! Une multitude de vies accumulées / Eussent été trop peu pour moi ; et d’une seule… – là Greene marqua un arrêt, le regard embrumé – Bien peu me reste… Mes chers amis, laissons-nous guider par Tennyson car, dans sa douleur, il a vécu un peu de la vie d’Ulysse, de son désir de triompher dans l’ultime voyage. »
    Accueillies avec enthousiasme par Longfellow, les explications du vieux Greene cédèrent la place bientôt à de sonores ronflements. Sa contribution apportée, le vieillard n’avait plus de forces. Comme personne ne semblait vouloir s’exprimer, Longfellow se tourna vers Lowell. Celui-ci, cramponné à ses pages tel un écolier récalcitrant, gardait les lèvres serrées. Face à la digne comédie en train de se jouer, son agacement allait croissant et son humeur était perméable à toutes les émotions.
    « Avez-vous des commentaires sur ce tercet ? »
    Lowell continua de fixer le Dante Alighieri en marbre blanc pendu au-dessus du miroir sorcière, qui contemplait sans pitié l’assistance de ses pupilles évidées. Enfin, il marmonna :
    « Dante n’a-t-il pas écrit jadis que la poésie ne saurait être traduite ? Cela ne nous empêche pas de nous réunir ici toutes les semaines pour assassiner son œuvre joyeusement.
    — La paix, Lowell ! s’écria Fields et il lança aussitôt un regard contrit à Longfellow. Chacun de nous fait ce qu’il a à faire », ajouta-t-il d’une voix étouffée mais suffisamment forte pour réprimander l’intéressé sans réveiller l’historien.
    Se penchant en avant, Lowell répondit avec ardeur :
    « Il faut faire quelque chose… Nous devons décider… »
    Holmes le fusilla du regard puis, de ses yeux écarquillés, désigna Greene ou, plus exactement, son oreille hérissée de poils : le « vieux » pouvait se réveiller à tout moment. Ramenant son doigt vers sa gorge, il fit le geste de se trancher la carotide, enjoignant ainsi à tous de garder le silence sur le sujet.
    « Qu’eussiez-vous souhaité que nous fissions ? » dit-il seulement. Sa rhétorique délibérément ridicule n’avait eu d’autre but que de museler les commentaires. Mais la phrase restait suspendue au-dessus de leurs têtes, monumentale, à la façon d’une voûte de cathédrale. Il ne put que bredouiller « Il n’y a rien à faire, malheureusement », en tirant sur sa cravate comme pour ravaler ses paroles.
    En vain. Car, avec sa question, il avait lâché la bride à une chose qui n’attendait que l’occasion de prendre forme : un défi évité jusque-là, tant qu’il n’avait pas été formulé à haute voix et devant ces quatre hommes dont les cœurs battaient à l’unisson.
    Si George Washington Greene avait toujours le souffle régulier et paisible, Lowell, lui, était devenu grenat, tant son urgence à répondre était grande. Son esprit résonnait de tous les sons qui avaient scandé la réunion de ce

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