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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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soir : le ton empressé de Longfellow pour les remercier d’être venus, la voix éraillée de Greene citant Tennyson, la respiration sifflante de Holmes, le majestueux discours d’Ulysse à ses marins avant de sombrer, puis redit à Dante dans l’Enfer. Et tous ces bruits, grondant simultanément dans sa tête, forgeaient une symphonie totalement nouvelle.
    Le voyant étreindre son front de ses doigts puissants, le Dr Holmes ne comprit pas tout de suite ce que disait Lowell. Sa première réaction fut la surprise. Peut-être s’était-il attendu à des cris destinés à fouetter l’énergie générale ; peut-être même les avait-il espérés, comme on espère ce que l’on connaît. Mais dans les périodes de crise, Lowell avait l’exquise sensibilité d’un grand poète : il commença par un chuchotement proche du soliloque et, peu à peu, ses traits empourprés se détendirent.
    «  Mes matelots , dit-il, vous les âmes qui avez peiné dur, œuvré et pensé de concert avec moi … {19}  »
    C’était un vers de Tennyson : Ulysse invitant ses hommes d’équipage à défier leur condition de mortels.
    Penché en avant, souriant, Lowell poursuivit avec une conviction qui venait autant de sa voix d’airain que des vers eux-mêmes :
     
    … vous et moi sommes vieux ;
    La vieillesse a encore son honneur et son labeur.
    La mort est la fin de tout ; mais quelque chose auparavant la fin,
    Quelque œuvre de renom peut encore être accomplie
    Qui ne soit pas indigne d’hommes qui luttèrent avec les dieux
     
    En entendant ces vers, Holmes fut stupéfié. Non par leur puissance – il les avait engrangés dans sa mémoire depuis des lustres –, mais par le sens nouveau qu’ils prenaient tout à coup. Il en fut ébranlé : Lowell ne récitait pas un poème, il adressait une supplique à ses amis. Longfellow et Fields le regardaient avec un ravissement et une crainte intenses, comprenant eux aussi que, par ce sourire et cette harangue, Lowell les mettait au défi de découvrir la vérité cachée derrière les meurtres.
    Des rideaux de pluie froide s’abattirent sur Craigie House, martelant les fenêtres, un seul carreau d’abord, puis élargissant l’assaut en un mouvement tournant dans le sens des aiguilles d’une montre. Il y eut l’éclat de lumière aveuglant d’un orage venu du fond des temps, et le cliquetis sur les vitres s’amplifia. En l’espace d’un instant, sans que Holmes s’en rendît seulement compte, la voix de Lowell fut submergée. Il ne récitait plus.
    Alors Longfellow prit la suite, sans heurt et dans le même chuchotement implorant :
     
    … l’océan
    Gémit à l’entour de ses mille voix, Allons, amis,
    Il n’est pas trop tard pour chercher un monde plus nouveau.
     
    Longfellow se tourna vivement vers Fields, le priant du regard de poursuivre. L’éditeur rentra la tête dans les épaules. Sa barbe alla se nicher entre les pans ouverts de son frac, tout contre la chaîne qui barrait son gilet. Holmes sentit la panique le saisir : Lowell et Longfellow se lançaient dans une cause impossible, Fields restait son seul espoir. L’éditeur était un ange gardien pour ses poètes, il ne les laisserait pas plonger tête la première au cœur du danger. N’avait-il pas toujours évité les occasions de séisme dans sa vie personnelle ? Ainsi, il n’avait jamais voulu avoir d’enfants pour s’épargner le risque de perdre son épouse en couches ou son bébé en bas âge. Libéré des contraintes domestiques, il pouvait consacrer toute son énergie protectrice à ses auteurs. Une fois, il avait passé un après-midi entier avec Longfellow à discuter pied à pied d’un poème sur le naufrage de l’ Hesperus. Grâce à quoi le poète avait raté sa sortie en mer à bord du somptueux voilier de Cornelius Vanderbilt, qui avait pris feu et sombré ce jour-là. Holmes pria en son for intérieur pour qu’en ce jour aussi l’éditeur revînt à la charge, comme il savait le faire, jusqu’à ce que tout danger fut écarté.
    Mais Fields savait qu’il avait affaire à des hommes de lettres et non à des hommes d’action. (Il leur faudrait des années pour le devenir.) Leur folie, c’était l’œuvre qu’ils lisaient, ces vers qu’ils composaient pour nourrir un public qui se languissait de les entendre, une humanité faite aussi bien de gens qui allaient en manches de chemise que de guerriers en uniforme capables d’affronter des batailles qu’eux-mêmes

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