Le Cercle du Phénix
de ramener la conversation sur le sujet qui
l’intéressait.
— Qu’avez-vous
appris à propos de Lady Killinton ?
Jeremy parut contrarié par la question : il n’avait
visiblement pas épuisé l’intégralité des commentaires que lui inspirait la
libération de Gabriel. Il hésita quelques secondes, puis se résolut à faire
contre mauvaise fortune bon cœur.
— Ainsi
que je vous l’avais promis, commença-t-il en laissant provisoirement de côté les
réflexions acerbes qui lui brûlaient la langue, je me suis renseigné auprès de
certains confrères. Ils m’ont fourni des renseignements très intéressants sur
Lady Angelia Killinton…
— Je
vous écoute, le pressa Cassandra dont les doigts martelaient nerveusement le
sous-main en cuir du bureau.
Jeremy se saisit de la première feuille de la pile et,
se renversant, se balança sur sa chaise.
— C’est
assez paradoxal, dit-il d’un air pensif. Cette femme est constamment le centre
de l’attention, des rubriques mondaines entières lui sont consacrées dans les
journaux, mais au final on sait très peu de chose sur elle. Commençons par les
faits établis si vous le voulez bien. Elle a épousé Lord Robert Killinton en
1848 à Hong Kong…
— À Hong
Kong ? s’exclama Cassandra, interdite. Que diable faisait-elle à Hong
Kong ?
— Comment
voulez-vous que je le sache ? rétorqua Jeremy, agacé. Je ne suis pas
devin ! Bon, où en étais-je ?… Voilà… Lord Killinton est mort six
mois après les noces. Cela n’a rien de très surprenant, il avait presque
soixante-dix ans… Angelia est rentrée en Angleterre quelques années après son
décès, les poches pleines d’argent car son mari, qui n’avait pas d’héritiers,
lui a laissé une jolie fortune. Elle possède également un patrimoine immobilier
conséquent : un hôtel particulier à Londres, que vous connaissez déjà, un
manoir dans l’Essex où elle se rend souvent, et un château dans les
Cornouailles où à l’inverse elle ne met jamais les pieds. Elle mène l’existence
de toute aristocrate digne de ce nom : raouts et dîners mondains, thé chez
d’autres ladies l’après-midi, courses à Ascot, soirées à l’opéra. Rien que de
très banal pour une femme de son rang. En apparence, aucune facette de la vie
de Lady Killinton ne prête à suspicion.
— En
apparence seulement ? l’interrompit Cassandra en se redressant sur son
fauteuil.
— Oui,
car lorsqu’on creuse un peu, on s’aperçoit que son passé comporte de nombreuses
zones d’ombre.
À commencer par ses origines, qui sont pour le moins
douteuses. Elle semble avoir surgi de nulle part pour prendre le vieux
Killinton dans ses filets. Il était veuf, sans enfants, et je suppose qu’il
avait envie de s’amuser un peu avec une jolie fille avant de mourir, peu
importe qu’elle fût d’extraction noble ou pas. Il paraît qu’elle est extrêmement
belle, ajouta Jeremy en jetant un coup d’œil interrogateur à Cassandra.
— C’est
vrai, approuva celle-ci.
Et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de trembler au
souvenir de cette femme.
— Elle
ne s’est pas remariée, n’est-ce pas ? demanda-t-elle pour dissiper la
sensation de malaise qui s’était insinuée dans sa poitrine.
— Non.
On lui prête un certain nombre d’aventures amoureuses, mais ce ne sont que des
ragots, donc à manier avec précaution.
Il se tut, pensif, puis se pencha brusquement vers Cassandra,
le regard inquisiteur.
— Et
maintenant, dites-moi pourquoi vous vous intéressez à cette femme. Aurait-elle
un lien avec le Cercle du Phénix ?
Cassandra avait prévu cette question, et préparé une
réponse qui n’était qu’un demi-mensonge.
— Non,
répondit-elle en secouant la tête. J’agis pour des raisons personnelles…
Furibond, Jeremy jaillit de sa chaise, ne lui laissant
pas le temps d’achever sa phrase.
— Vous
mentez ! aboya-t-il penché sur le bureau, son visage à quelques
centimètres de celui de Cassandra. J’ai enquêté de mon côté sur Lady Killinton,
et découvert qu’elle entretenait certains liens avec Charles Werner. Comme par
hasard !
Cassandra se leva à son tour, contrariée par
l’entêtement du journaliste.
— De
quoi parlez-vous ?
— Lord
Robert Killinton, le défunt époux d’Angelia, était lié à Charles Werner par des
relations d’affaires et de plaisir. Outre qu’ils étaient compagnons de débauche
à Londres, la banque
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