Le Cercle du Phénix
Russell que dirige Werner a géré pendant de nombreuses
années l’argent de la famille Killinton. Une coïncidence sans doute ?
Dites-moi la vérité, Miss Jamiston. Je ne partirai pas d’ici sans savoir !
Il était sérieux, Cassandra n’en doutait pas. Elle se
rassit donc, vaincue, et Jeremy l’imita, l’air satisfait de lui-même.
— Très
bien, vous avez gagné.
Elle lui relata alors son entrevue avec Werner, et la
révélation que lui avait faite ce dernier de l’identité du chef du Cercle du
Phénix. Jeremy, de l’indignation, passa à l’incrédulité.
— Croyez-vous
vraiment que cette femme puisse diriger le Cercle ? reprit-il d’une voix
sceptique. Cela me semble inconcevable…
Cassandra réfléchit un instant.
— Je
ne vois pas quel intérêt aurait eu Charles Werner à me mentir… D’un autre côté,
mener ainsi une double vie doit être malaisé. Lady Killinton possède sans doute
une nombreuse domesticité à l’affût de ses moindres faits et gestes ; si
elle a réellement des choses à cacher, elle doit avoir du mal à agir en toute
discrétion…
— Oh,
les domestiques ne sont pas un problème, assura Jeremy. Lady Killinton est une
originale : tous ses serviteurs sont asiatiques, et la plupart ne parlent
pas un mot d’anglais. Ils ne risquent pas de la dénoncer…
— Astucieux…,
commenta Cassandra d’un air appréciateur.
Jeremy laissa retomber les pieds de sa chaise dans un claquement
sec et se leva, ses feuillets à la main.
— Ce
sera tout pour le moment. Je vous préviendrai si de nouveaux éléments se
présentent.
— Merci.
— Mais
ne vous avisez plus de me cacher quoi que ce soit à l’avenir, poursuivit-il,
soudain menaçant. Si vous n’avez pas confiance en moi, je ne vous aiderai plus.
Sans attendre de réponse, il quitta la pièce. Peu
impressionnée par l’éclat du journaliste, Cassandra se cala plus
confortablement dans son siège, les mains jointes. Elle se sentait curieusement
frustrée. Certes, Lady Killinton ne lui était plus tout à fait étrangère à
présent, mais elle avait l’intuition que l’essentiel lui échappait.
Angelia… Angelia…
Ce prénom lui était familier…
Angelia… Angelia…
Si seulement elle pouvait se rappeler…
*
D’un geste gracieux, Lady Angelia Killinton prit sur le
guéridon la délicate tasse en porcelaine de Sèvres que la bonne de Lady Carlson
venait d’emplir d’un liquide odorant et fumant. Le salon de son hôtesse,
richement décoré et meublé de fauteuils somptueusement houssés, baignait dans
une douce chaleur émanant du feu qui crépitait dans la cheminée. Lady Carlson,
une femme squelettique au visage fané, avait été selon ses propres
dires une créature très séduisante dans sa lointaine jeunesse, ce dont Angelia
doutait fort : il paraissait tout bonnement impensable que ce vieux singe
fripé ait jamais réussi à faire tourner la tête ne fût-ce qu’à un seul homme.
Lady Carlson était de surcroît malheureusement dénuée de la moindre parcelle
d’intelligence. Malheureusement pour Angelia, contrainte d’écouter un sourire
factice aux lèvres les fadaises que débitait allègrement la vieille dame.
Dieu merci, elle possédait la précieuse faculté, acquise
après des années d’expérience, de soutenir une conversation mondaine tout en pensant
à diamétralement autre chose.
À Cassandra par exemple. Et à la défection de Werner.
Assise à ses côtés, Lady Carlson pérorait d’une
désagréable voix haut perchée sur les problèmes de domesticité au sein des
grandes maisons.
— Voyez-vous,
ma chère, les bons domestiques se font de plus en plus rares de nos jours. En
remplacer un s’apparente désormais à un véritable supplice chinois…
Angelia n’écoutait que d’une oreille distraite, se
contentant de temps à autre de marquer son approbation d’un bref hochement de
tête. Des sujets autrement plus graves occupaient son esprit.
Charles Werner l’avait trahi.
En soi, naturellement, ce n’était pas une
surprise : sa loyauté avait toujours été plus que douteuse, et il était
évident qu’il se saisirait de la première occasion venue pour se soustraire à
l’emprise du Cercle. L’opportunité rêvée s’était présentée avec l’entrée en
scène de Cassandra, et le départ de l’assassin avait dû le conforter dans sa
décision. Non, ce qui la surprenait, c’était qu’il l’ait crue stupide au
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