Le Cercle du Phénix
mis
au courant de ton projet ? Pourquoi ne suis-je au courant de rien
d’ailleurs ?
— Je
ne voulais pas que tu t’inquiètes, ni te mettre en danger, chuchota Cassandra.
Excuse-moi.
Andrew ravala la remarque cinglante qui lui brûlait les
lèvres. Il n’était pas un enfant, que diable, nul besoin de le materner
ainsi ! Il aurait mis sa main à couper que Nicholas Ferguson, lui, était
dans la confidence. À cette pensée, sa fureur redoublait. Mais Cassandra paraissait
si désolée que sa colère se tut provisoirement.
— Continue,
marmonna-t-il. Tu disais que tu connaissais Lady Killinton…
La jeune femme hocha la tête. Ses mains se crispèrent
sur sa tasse.
— En
effet.
Andrew hésita une poignée de secondes.
— Alors…,
s’enquit-il d’un ton prudent. Qui est-elle pour toi ?
Cassandra releva la tête et plongea son regard clair
dans celui de son ami.
— Ma
sœur.
Bouche bée, Andrew la contempla, abasourdi.
— Ta
sœur ? Tu as une sœur ?
— Oui,
je l’avais simplement… oubliée.
— On
ne peut pas oublier une chose pareille !
— La
preuve que si.
Cassandra avait recouvré son sang-froid à présent. Sa
voix était calme et sa diction précise.
— C’est
elle la responsable de tous mes cauchemars. C’est elle qui a tué les gens qui
nous recueillaient…
Les yeux toujours agrandis par la surprise, Andrew
réfléchit un instant. Un détail le tracassait.
— Mais…
quel âge avait-elle à l’époque ? Ce devait être une enfant, tout comme
toi…
Cassandra devint livide, et il regretta aussitôt son
objection.
— Oui,
c’était une enfant…, admit-elle dans un murmure sinistre.
Des images commençaient à se former dans l’esprit
d’Andrew : deux fillettes, leurs robes tachées de sang, debout devant des
cadavres, l’une ricanant, l’autre pleurant… Les mots lui manquaient pour exprimer
l’horreur que lui inspiraient ces révélations.
— Pourquoi…
pourquoi aurait-elle fait cela ? trouva-t-il enfin le courage de demander.
— Parce
qu’elle est folle… folle à lier. Elle ne possède pas de conscience, ne
distingue pas le bien du mal. C’est un monstre… Je pensais qu’elle était morte.
Il eût mieux valu…
— Qu’est-ce
qui te faisait croire qu’elle était morte ?
À ces mots, la tranquille assurance de Cassandra s’effondra une
nouvelle fois. Ses yeux se remplirent de larmes, et elle se mit à sangloter,
bouleversée.
— J’ai
essayé de la tuer, gémit-elle d’une voix hachée. J’ai voulu la noyer… Je suis
une meurtrière… J’ai essayé de tuer ma propre sœur…
Deuxième partie
Chapitre I
Accessible par une route en lacets qui serpentait à
flanc de colline, le monastère de Santa María dominait une vallée boisée de
Galice, la région la plus verte d’Espagne, à quelques miles de Saint-Jacques-de-Compostelle.
D’un regard las, Werner engloba les environs. Cerné par
une forêt dégarnie de hêtres et de châtaigniers, le pied de la colline était
nimbé d’un voile de brume venu de l’Atlantique. Cet endroit isolé semblait
avoir été prédestiné à accueillir un jour en son sein le sanctuaire du Feu.
Érigé en 936 par les bénédictins sur le site d’un temple romain consacré au
dieu du feu Vulcain, le monastère de Santa Maria avait entièrement brûlé à
trois reprises au cours des années suivantes. Après le dernier incendie survenu
en l’an 1010, les religieux s’étaient avoués vaincus et avaient renoncé à
reconstruire le monastère dans ce lieu maudit que les flammes ne cessaient de
ravager.
Werner se retourna. La lueur rougeâtre de l’aube
baignait un calme paysage de pelouses et de bosquets où les ruines éparses de l’ancien
monastère se découpaient en silhouettes tragiques, murs massifs aux pierres
taillées dans le granit, colonnes tronquées, voûtes en berceau incomplètes et
ébauches de portiques semblables à de la dentelle pétrifiée. À l’entrée du
cloître, où des moines encapuchonnés s’étaient jadis promenés, se dressait une
haute croix de fer, et au centre de la cour un grand arbre aux feuilles vert
émeraude, jumeau de celui qui poussait en Écosse sur le sanctuaire de l’Eau.
Une dizaine de silhouettes fébriles s’agitaient autour
des ruines, retournant chaque pierre, écartant les lourdes traînes de lierre
enroulées autour du fût des colonnes. En vain jusqu’à présent.
En proie à une inquiétude
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