Le Cercle du Phénix
surpassait dans l’art de tuer… hormis elle-même, bien entendu.
Angelia ne l’avait rencontré qu’une seule fois, mais elle avait compris au
premier coup d’œil que tout comme elle il souffrait d’un profond déséquilibre
intérieur…
Son départ avait sans doute bouleversé Werner au-delà de
toute raison, au point qu’il avait trouvé le courage de tenter de s’extraire à
son tour de la toile tissée par le Cercle du Phénix. Mais Angelia ne pouvait
blâmer le jeune homme pour sa désertion : entre Lord Ashcroft et Werner,
le choix était vite fait ; à sa place, elle n’aurait pas hésité une
seconde. Pauvre Charles… Rien n’était plus douloureux que de voir son amour
ainsi rejeté…
Elle était bien placée pour le savoir.
*
Angelia ne croyait pas en Dieu, qu’elle jugeait beaucoup
trop manichéen à son goût. Toutefois, l’alchimie renvoyait directement à
quelque chose de supérieur, de divin, de sacré, et par conséquent il était
impossible de s’y intéresser sans se préoccuper en même temps de la religion.
Le lien entre les deux concepts était étroit. D’abord parce qu’au cours des
siècles, tous les ordres religieux – templiers, bénédictins, dominicains,
jésuites, franciscains – s’étaient intéressés à l’alchimie. Et ensuite
parce que les adeptes eux-mêmes avaient fourni une interprétation proprement
alchimique du christianisme en multipliant les analogies spirituelles :
ils comparaient par exemple le travail du Mercure lors du processus
transmutatoire à la Passion du Christ, et la pierre philosophale au Christ
lui-même ; ou encore assimilaient la Trinité chrétienne du Père, du Fils
et du Saint-Esprit au Soufre, au Sel et au Mercure.
Le choix de ce monastère pour y dissimuler le Triangle
du Feu n’avait donc rien de surprenant, et il apparaissait d’autant plus
adéquat que la plupart des religions considéraient le feu comme l’emblème le
plus expressif de la divinité. En effet, le feu constituait le trait d’union
entre le monde matériel et le monde spirituel. Impondérable, insaisissable,
toujours mouvant, il possédait toutes les qualités des esprits ; mais sa
nature était également matérielle puisque l’on pouvait éprouver sa clarté et sa
chaleur. En outre, la haute vertu purificatrice du feu prouvait son origine
spirituelle et sa filiation divine. Il n’était rien moins que la manifestation
physique de la pureté, et voilà pourquoi Dieu se révélait toujours aux hommes
sous une apparence ignée, comme lors de la remise du décalogue où le
buisson-ardent et l’embrasement du Sinaï matérialisaient sa présence. Et saint
Paul n’écrivait-il pas dans son Epître aux Hébreux que Dieu était un feu dévorant ?
Angelia reporta son regard sur le monastère. Les débris
de l’ancien cloître reposaient à la pâle clarté d’un soleil poudré.
L’immobilité du paysage et le silence religieux qui l’enveloppait créaient une
étrange atmosphère d’irréalité.
D’un pas décidé, Angelia, suivie de Charles Werner et de
quelques hommes du Cercle, passa près de l’arcade et s’immobilisa à côté d’une
pierre tombale presque enfouie sous les ronces. La jeune femme fronça les
sourcils dans une expression d’intense concentration, son regard balayant à
plusieurs reprises le paysage de ruines qui s’étendait devant elle. Ses
compagnons l’observaient sans oser souffler mot.
Comme saisie d’une inspiration subite, Angelia se
dirigea vers la chapelle. Relativement épargnée par les incendies successifs,
elle se dressait bravement au milieu des décombres du monastère, et ses vitraux
rescapés luisaient sous la caresse des rayons du soleil.
Angelia s’arrêta devant l’entrée et entreprit d’examiner
les fines ciselures du porche et les pierres travaillées.
— La
Vierge Marie, la crèche avec l’Enfant Jésus, les rois mages, saint
Jean-Baptiste, saint Michel combattant le dragon…
Angelia se raidit légèrement.
— Le
dragon, répéta-t-elle avec lenteur. Un des symboles du feu en alchimie…
Elle se pencha vers le motif sculpté et ne tarda pas à
découvrir entre les pattes du monstre un petit triangle gravé à sommet
supérieur qui confirma son intuition.
— Avez-vous
fouillé cette chapelle ? aboya Angelia en se tournant vers ses hommes.
— Bien
entendu, madame, répondit Werner, rempli d’appréhension. Mais nous n’avons rien
trouvé.
À ces mots, la
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