Le Cercle du Phénix
intensité. Elle doit avoir conscience que la main qui lui enfonce
la tête sous l’eau est mue par une volonté inflexible, une volonté que rien ni
personne ne pourra arrêter dans son élan meurtrier. Ce sacrifice, bien que
déchirant, est nécessaire. Il en est ainsi.
Les paupières de la fillette s’abaissent. C’est terminé.
Sa meurtrière se relève, tremblante, hébétée, les mains
gelées. Puis elle fait volte-face et se remet à courir sans un regard derrière
elle. Une terreur éperdue a pris possession de son corps, la poussant à fuir
son crime. Telle une lame chauffée à blanc, le mot « assassin »
s’enfonce dans sa chair, se grave impitoyablement dans son esprit. Elle ne sort
d’un cauchemar que pour pénétrer dans un autre, c’est un cercle sans fin…
Jamais elle ne pourra surmonter cette nouvelle épreuve…
Elle aurait tant voulu oublier… Tout oublier…
*
Épouvantée, Cassandra se réveilla en sursaut, le cœur
battant la chamade, la peau ruisselante de sueur, avec l’impression d’avoir
reçu un coup de poing.
Elle se rappelait. De tout.
Seigneur, comment avait-elle pu gommer ces événements de
sa mémoire ? Surtout, comment avait-elle pu oublier ces yeux violets, si
semblables aux siens ? Après tant d’années, la silhouette évanescente qui
hantait ses cauchemars venait de se matérialiser. Maintenant, Cassandra savait.
Et la vérité la terrifiait.
Les battements de son cœur mirent plusieurs minutes a
retrouver un rythme proche de la normale. Lorsqu’elle fut un peu calmée, elle
se leva hâtivement, le corps secoué de violents frissons. Elle devait raconter
son histoire à quelqu’un, et tout de suite. Le fardeau de sa mémoire pesait
trop lourd sur ses épaules. Il l’écraserait si elle n’en parlait pas.
Andrew. Il fallait qu’elle voie Andrew.
La jeune femme remonta le corridor en courant et pénétra
dans la chambre d’Andrew, située à quelques portes de la sienne. Plongé dans un
bienheureux sommeil, son ami était inconscient de la tempête qui soufflait en
elle à cet instant précis. Penchée sur le lit, Cassandra le secoua sans
ménagement.
— Andrew,
Andrew, réveille-toi !
L’air passablement ahuri, il tâtonna pour allumer la
lampe posée sur sa table de chevet. La vision de Cassandra, pâle, échevelée et
claquant des dents, acheva de lui faire reprendre ses esprits.
— Cassandra,
que se passe-t-il ? s’écria-t-il d’un ton anxieux en lui saisissant les
mains. Tu es glacée et tu trembles… Pour l’amour du Ciel, dis-moi ce qui ne va
pas !
— Je
me rappelle… je me rappelle de tout…, balbutia la jeune femme en proie à une
émotion qui menaçait de l’engloutir à chaque seconde.
— Attends,
attends, calme-toi, l’interrompit Andrew en s’empressant d’enfiler une robe de
chambre. Tu as besoin d’un remontant.
La tenant fermement par la main, il l’entraîna dans la
cuisine, déserte à cette heure de la nuit, et lui prépara un grog fumant.
— Bois,
dit-il en lui tendant la tasse. Tu te sentiras mieux après.
Cassandra obtempéra docilement. Assise sur un banc
devant la table de chêne, elle tenait sa tasse à deux mains pour se réchauffer.
Peu à peu, ses frissons s’atténuèrent, et ce fut d’une voix plus posée, bien qu’encore
incertaine, qu’elle reprit la parole.
— Je
me souviens, Andrew. Je me souviens de tout ce qui a précédé notre rencontre.
Elle se tut, emportée par le tourbillon de ses pensées.
Andrew resta silencieux, attendant patiemment la suite du récit. La brusquer ne
servirait à rien.
— Cette
femme, Lady Angelia Killinton…, poursuivit Cassandra dans un murmure. Quand je
l’ai vue la première fois au bal, j’ai su immédiatement que nous nous étions
déjà rencontrées, mais j’étais incapable de me rappeler dans quelles
circonstances. Je l’ai revue hier soir, lorsque je me suis rendue à sa
résidence pour voler le carnet de Werner, et là…
— Mais
de quoi parles-tu, Cassandra ? l’interrompit Andrew, complètement perdu.
Quel bal, quel carnet ? Et qui est cette Lady Killinton ?
Cassandra se souvint alors qu’elle n’avait pas mis
Andrew dans le secret de sa rencontre avec Charles Werner et de l’existence
d’Angelia.
— Lady
Killinton est le véritable chef du Cercle du Phénix, souffla-t-elle, confuse,
sans oser regarder son ami.
— Et
tu es allée chez elle ? coupa Andrew, sidéré. Pourquoi ne m’as-tu pas
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