Le Cercle du Phénix
et la sensation de vide à la place de sa mémoire
l’oppressait comme jamais auparavant. Elle avait cependant l’étrange impression
que sa rencontre avec Angelia Killinton avait ouvert une porte dans son esprit.
Par sa seule présence, cette femme avait remué des souvenirs profondément
enfouis. La vérité était toute proche, elle en était convaincue ; encore
un effort, et elle pourrait la toucher du doigt.
L’intolérable pensée qui avait déjà si souvent torturé
Cassandra l’assaillit soudain. La pensée qu’inconsciemment elle luttait pour
laisser le passé dans l’oubli, et ce afin de se protéger d’une vérité trop
atroce pour être dévoilée au grand jour. Ses pires craintes se réaliseraient si
elle devait découvrir qu’elle avait du sang sur les mains. Par-dessus tout,
Cassandra redoutait ce qu’elle risquait d’apprendre sur elle-même.
Lorsqu’elle s’endormit enfin, l’esprit toujours agité,
elle n’était plus certaine de vouloir combler les trous béants qui
parsemaient sa mémoire.
*
La respiration sifflante, elle court comme une bête
traquée au milieu des hautes herbes. Des pas précipités résonnent derrière elle
dans la nuit glacée. Elle a si peur qu’elle arrive à peine à respirer. Le sang
bat douloureusement à ses tempes. Sa vue se brouille, noyée par des larmes de
colère et de désespoir. Des gens sont morts à cause d’elle, et le souvenir de
leurs cadavres lui donne la nausée.
Elle continue à courir comme une folle. Son cœur va
exploser. Elle veut fuir loin de ce cauchemar, loin du monstre qui décime son
entourage, tout en sachant qu’elle ne pourra lui échapper. Les liens qui les
unissent sont trop forts, leurs sentiments trop puissants. Seule la mort de
l’une d’entre elles mettra fin à la tragédie et fera tomber les chaînes.
Son prénom vibre dans l’obscurité, se répercute entre
les arbres et les bosquets. Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois…
Affolée, elle plaque ses mains contre ses oreilles. Elle donnerait n’importe
quoi pour ne plus jamais entendre cette voix. Les touffes d’herbe gelée lui
arrivent à la taille, la neige ralentit sa course. Il fait froid, terriblement
froid. Ses jambes ne la portent plus. Elle va bientôt être rattrapée, c’est
fatal. Sa tentative de fuite était vouée à l’échec depuis le début.
Elle s’arrête soudain, pantelante. Elle ne peut plus
avancer. Une rivière lui barre le passage. Ses eaux sombres, qui charrient de
la neige et des glaçons, scintillent dangereusement à la lueur de la lune. La
respiration haletante, elle s’efforce de réfléchir à toute allure. Que faire
maintenant ? Les pas se rapprochent, ce n’est plus qu’une question de
secondes. Elle scrute avec désespoir la rivière à ses pieds, puis prend une
terrible résolution. Il est temps que tout ceci se termine car elle a épuisé
ses forces. Elle ne veut plus avoir peur, elle ne veut plus vivre dans
l’angoisse. Personne ne la délivrera de ses fers, il lui faut donc s’en
débarrasser seule. Elle n’a que trop tardé.
Il n’existe pas d’autre alternative, elle en est
convaincue à présent. Elle doit affronter l’innommable. À quelques pouces
seulement de son dos, sa poursuivante s’immobilise à son tour.
Les membres roides, elle se retourne avec lenteur pour
lui faire face.
— Cassandra…,
répète doucement l’autre en tendant la main vers elle.
Non, il ne faut à aucun prix se laisser attendrir de
nouveau. Elle doit se montrer forte, et surtout agir vite. Il ne faut plus
réfléchir. Elle bondit vers la fillette, l’empoigne et la précipite dans la
rivière.
Le temps semble brusquement se figer. Le paysage qui
l’entoure disparaît, remplacé par un rideau sombre et informe. Elle maintient
fermement la fillette sous la surface de la rivière, mais n’ose pas la
regarder. Et quand enfin, au bout d’une minute qui lui paraît une éternité,
elle trouve le courage de poser les yeux sur elle, son cœur vole en éclats.
Dans l’eau obscure et glaciale, ses longs cheveux se
sont déployés, semblables aux ailes lustrées d’un corbeau. Son visage aux
traits encore enfantins a pris un reflet argent. Elle ne se débat pas. Ses
lèvres décolorées par le froid se contentent de former des mots inaudibles.
Prière, menace, pardon… comment savoir maintenant ? De ses yeux grands
ouverts, brillants comme des joyaux, elle fixe son assassin avec une
bouleversante
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