Le Cercle du Phénix
VIII
De longues et pâles traînées de brume chatoyaient dans l’air frais du
matin, recouvrant Hyde Park d’une vapeur argentée. Bien que l’heure ne fût
guère avancée et que le parc fût nettement moins fréquenté que durant la
Saison, de somptueux équipages avec cocher et laquais en livrée sillonnaient
déjà les allées gravillonnées, tandis que quelques cavaliers et amazones de la
haute société rivalisaient d’élégance sur leurs magnifiques montures.
D’un
mouvement nerveux des rênes, Cassandra lança son cheval au trot sous les
frondaisons de Rotten Row. Elle avait décidé de rencontrer Angelia en terrain
neutre, peut-être parce qu’elle se sentirait ainsi moins vulnérable. Malgré
tout, l’angoisse et le doute lui tordaient le cœur ; chaque seconde qui
passait renforçait l’idée qu’elle était sur le point de commettre une tragique
erreur. Sa résolution mise à mal, Cassandra songea à rebrousser chemin, mais à
cet instant Angelia apparut au détour de l’allée, chevauchant avec panache un
fringant alezan.
Toujours
à la pointe de la mode, la jeune femme avait revêtu une superbe tenue
d’équitation à l’exquise teinte pourpre. Légèrement (et délibérément) trop
ajusté, l’habit flattait sa silhouette. Son chapeau d’écuyère, semblable à un
haut-de-forme, était posé avec une désinvolture étudiée sur sa brillante
chevelure noire. Elle avait fière allure, et le savait. Même les plus gentlemen
des hommes se retournaient sur son passage, et elle ne manquait pas d’adresser
à chacun de ses admirateurs un sourire plein de coquetterie.
Cassandra
se crispa, agacée : pourquoi diable sa sœur donnait-elle constamment
l’impression d’être en représentation ? Ne pouvait-elle, de temps à autre,
agir sans affectation et avec naturel ?
Angelia
immobilisa sa monture en l’apercevant, et les deux sœurs se firent face en
silence. Puis Angelia murmura d’une voix rauque :
— Cassandra…
Tu acceptes enfin de me voir…
Cassandra baissa la tête et le grand chapeau de mousquetaire qu’elle
portait dissimula son expression au regard avide d’Angelia ; elle ne
souhaitait à aucun prix lui révéler son trouble.
Angelia soupira d’un air résigné et détourna les yeux.
— Pourquoi
voulais-tu me rencontrer aujourd’hui ?
Cassandra, dont la prestance et la beauté rivalisaient aisément avec
celles de sa sœur, réalisa soudain qu’à une dizaine de mètres de là, un groupe
de messieurs bien nés les regardait avec insistance en échangeant forces
murmures admiratifs. Deux belles femmes dans un lieu public attiraient trop
l’attention pour espérer pouvoir discuter en paix.
— Éloignons-nous
d’ici, lança brusquement Cassandra.
Elles quittèrent l’allée fréquentée et se réfugièrent près d’un bosquet
qui les dissimulait aux yeux des autres promeneurs. Ni l’une ni l’autre ne mit
pied à terre. Les deux sœurs demeurèrent en selle à se dévisager mutuellement,
Cassandra rongée par l’appréhension, Angelia par la curiosité.
Le
silence s’éternisant, Cassandra avala sa salive et dit très vite :
— Je
suis venue négocier.
Voilà, c’était fait, elle ne pouvait plus revenir en arrière. Du coup,
elle se sentit beaucoup mieux.
— Négocier ?
répéta Angelia en haussant un sourcil intrigué.
— Je
te propose une alliance. Unissons nos forces pour découvrir la pierre de
Cylenius.
Les rênes négligemment posées sur son bras plié, Angelia éclata de rire.
— Aurais-tu
perdu l’esprit ? Toi qui ne cesses de me fuir depuis que nous nous sommes
retrouvées, tu me proposes maintenant une association ? Pardonne ma
surprise, mais je ne comprends plus.
— Je
suis parfaitement sérieuse, rétorqua Cassandra.
Sa sœur cessa de rire, et son expression se durcit. Elle se pencha en
avant et caressa l’encolure de son cheval d’un air pensif.
— Admettons…
Mais quelle est la raison de ce revirement ? Car il y en a une, tu ne me
feras jamais croire le contraire.
Cassandra agita sa cravache avec nervosité.
— Quelle
importance ? Contente-toi d’écouter mon offre : nous allons mettre en
commun tous les indices dont nous disposons, à commencer par le carnet de
Thomas Ferguson que tu as subtilisé.
— Ce
carnet n’est plus d’aucune utilité à présent, la coupa Angelia. Ferguson
ignorait où se trouvait le dernier sanctuaire.
La déception noua la gorge de Cassandra ; un
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