Le Cercle du Phénix

poursuivait son interrogatoire.
    —  Lorsque
vous êtes venu ici la première fois pour dérober le Triangle, je suppose que
vous avez utilisé le plan du manoir que Julian m’a montré et qu’il a trouvé
chez vous ?
    Gabriel hocha la tête.
    —  J’avais
mémorisé l’emplacement des pièces avant de venir.
    Cassandra sourcilla : la pensée d’un inconnu s’introduisant chez
elle pour étudier la disposition des lieux n’était guère plaisante.
    Gabriel
s’apprêtait à ajouter quelque chose quand Nicholas posa une autre
question :
    —  Et
en Ecosse ? demanda-t-il brusquement. Par quel miracle avez-vous réussi à
sortir du labyrinthe et du sanctuaire ?
    —  Cela
a été difficile, avoua le jeune homme. J’essayais de vous suivre de près en me
guidant à vos voix et au bruit de vos pas, mais à la fin, je me suis perdu, et
M. Werner a été obligé de venir me chercher.
    —  Grotesque !
lâcha Jeremy.
    —  Les
coulisses du crime sont pleines de surprises…, commenta pensivement Andrew.
    Nicholas haussa les épaules.
    —  Après
ce palpitant interlude, je crois que nous devrions revenir aux choses
sérieuses. Vous souhaitiez nous entretenir d’un sujet, Lord Ashcroft ?
    —  En
effet, répondit Julian en sortant un paquet de feuilles pliées de la poche de
sa veste. J’ai terminé tout à l’heure le décryptage du parchemin découvert avec
le Triangle de l’Eau en Écosse, mais le résultat n’est guère probant.
    —  Que
voulez-vous dire ?
    Julian poussa un soupir et entreprit de lire à haute voix le début du
document.
    — « L’œuvre
majeure de l’Adeptat est la réintégration du sous-multiple humain dans l’Unité
divine. L’Adepte est celui qui peut, toutes les fois qu’il le désire, maîtriser
entièrement son Moi sensible extérieur, pour s’abstraire en Esprit, et plonger
par l’orifice du Moi Intelligible interne dans l’Océan du soi collectif divin
où il reprend conscience des arcanes complémentaires de l’Éternelle Nature et
de la Divinité. L’Adepte est celui qui peut quitter son effigie terrestre, en
corps astral ou éthéré, pour aller puiser dans l’Océan astral la solution des
mystères qu’il recèle. »
    Julian interrompit sa lecture et regarda ses compagnons. Megan avait du
mal à réprimer un fou rire nerveux et Jeremy roulait des yeux effarés.
    —  Ce
passage est représentatif du reste, soupira-t-il.
    —  Mon
Dieu…, souffla Cassandra. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sens est
assez obscur.
    —  J’admets
que ce texte n’est pas très clair, concéda Julian.
    —  Pas
très clair ? C’est un euphémisme, grommela Jeremy.
    Un éclair passa dans les yeux de Julian et il toisa le journaliste avec
hauteur. Presque inconsciemment, Jeremy courba les épaules. Sous ses apparences
d’homme parfait, Julian cachait un grave défaut : il était extrêmement
rancunier. Jeremy l’avait mortellement offensé en évoquant son intimité avec
Gabriel, et il n’avait accepté ses excuses que du bout des lèvres.
    —  Je
suis persuadé que ma traduction est correcte, répliqua-t-il d’un ton acerbe.
    —  Cylenius
a pris un malin plaisir à brouiller les pistes, maugréa Nicholas.
    —  Le
document dans son intégralité serait sans doute plus compréhensible, ajouta
Julian. Sans l’autre partie du parchemin détenue par Angelia Killinton, je
crains que nous ne soyons dans une impasse.
    À ces mots, Cassandra tressaillit violemment. La lumière venait de se
faire en elle, lui indiquant avec une redoutable clarté la voie à suivre. Ses
lectures sur l’alchimie lui étaient revenues en mémoire : la pierre
philosophale guérissait non seulement les métaux vils de leur infériorité en
les transformant en or, mais par analogie elle guérissait aussi l’homme de
toute espèce de maladies ou d’infirmités. Elle chassait la lèpre, l’épilepsie,
l’apoplexie, la surdité, la cécité ou la folie. La pierre philosophale avait
donc le pouvoir de sauver Andrew. Si la médecine humaine ne pouvait rien pour
lui, la pierre, elle, serait assez puissante pour le soigner.
    Le
cœur de Cassandra battit plus vite. C’était un espoir ténu, un espoir fou, mais
le seul auquel elle pouvait se raccrocher.
    Imaginer
la vie sans Andrew… Non, c’était au-dessus de ses forces. Pour garder l’homme
qu’elle aimait, une seule option s’offrait à elle : pactiser avec sa sœur,
avec le crime incarné.

Chapitre