Le Cercle du Phénix
des derniers jours tendrait pourtant à montrer qu’elle n’est pas aussi
forte qu’elle essaie de le faire croire, rétorqua Nicholas à voix basse. La
mort d’Andrew a exposé sa vulnérabilité en pleine lumière.
— Mais
où la chercher ? s’inquiéta Jeremy. Elle peut être n’importe où…
— Nous
pouvons déjà quadriller le domaine, proposa Nicholas. Peut-être n’a-t-elle pas
quitté les environs du manoir.
Les autres hochèrent la tête et se dirigèrent immédiatement vers la
porte, conscients que chaque minute était précieuse. Nicholas s’apprêtait à les
suivre lorsqu’une idée subite traversa son esprit. Et si…
*
La pluie drue continuait à cribler le ciel, noyant les alentours dans une
obscurité floue et creusant la route de dangereuses ornières, tandis qu’un vent
furieux soufflait en rafales. Nicholas galopait à bride abattue vers Londres,
insoucieux du danger. Si son intuition était juste, il trouverait Cassandra
là-bas.
Depuis
la mort d’Andrew, la jeune femme lui inspirait une inquiétude croissante. La
veille de l’enterrement, il l’avait surprise dans la chapelle où était exposé
le corps d’Andrew. Se croyant seule, elle s’était approchée à pas lents du
cercueil. Vêtue de blanc, le teint exsangue, elle ressemblait à un fantôme.
Elle avait caressé la joue d’Andrew, puis avait sorti une petite paire de
ciseaux et coupé une de ses mèches qu’elle avait précieusement serrée dans son
poing. Elle s’était ensuite penchée et avait longuement pressé ses lèvres sur
les siennes. Lorsqu’elle s’était redressée, son regard, son visage, son corps
tout entier manifestaient une souffrance si intense, une douleur si poignante,
que Nicholas avait craint un instant qu’elle ne fût devenue folle. Les émotions
de cette femme étaient d’autant plus violentes qu’elle ne les exprimait pas.
Une
fois dans la capitale, la progression de Nicholas devint plus aisée. Le mauvais
temps avait chassé badauds et marchands ambulants des rues, et seuls quelques
fiacres et cabs circulaient encore. Dès lors, il ne fut pas long à atteindre
son but.
Au
détour d’une avenue, les grilles du cimetière surgirent soudain devant ses
yeux, imposantes et sinistres. Il mit aussitôt pied à terre devant l’entrée,
serra son manteau contre sa poitrine et se dirigea tant bien que mal vers la
partie la plus récente du cimetière, là où étaient regroupées les tombes
fraîchement creusées. De la terre gorgée d’eau s’élevaient des senteurs humides
et vaguement écœurantes. Durant plusieurs minutes qui lui parurent des siècles,
Nicholas pataugea dans les allées boueuses, avant de distinguer enfin à travers
le rideau de pluie la sépulture d’Andrew. Il s’immobilisa et mit ses mains en
visière pour tenter de percer les ténèbres. Son cœur bondit alors dans sa
poitrine : à demi couchée, une forme sombre se détachait sur le marbre
gris de la tombe.
Submergé
par l’angoisse, Nicholas se précipita vers la silhouette statufiée. Il
s’agissait bien de Cassandra ; les bras repliés sous sa, tête, la jeune
femme s’était recroquevillée près de la pierre tombale, indifférente à l’averse
qui la trempait jusqu’aux os.
Nicholas la saisit par les épaules.
— Cassandra,
hurla-t-il pour couvrir les rugissements du vent, Cassandra, vous
m’entendez ? C’est moi, Nicholas !
Elle ne répondit pas.
— Cassandra !
J’ai besoin de vous, faites un effort !
Les lèvres de la jeune femme frémirent. Nicholas dut approcher son
oreille tout près de son visage pour saisir ses propos.
— Andrew…
Nicholas prit son menton entre ses mains et la força à le regarder.
— Cassandra,
l’endroit est mal choisi pour vous lamenter sur votre sort. Si vous restez ici,
vous allez attraper une pneumonie !
Cassandra essaya de le repousser, mais la force lui manqua.
— Laissez-moi,
murmura-t-elle avec une infinie tristesse, vous ne pouvez pas comprendre…
Autour d’eux, on n’entendait plus que le crépitement mélancolique des
gouttes de pluie dans les flaques qui parsemaient le cimetière.
— Que
vais-je devenir sans Andrew ? chuchota Cassandra. J’ai tellement besoin de
lui… C’est trop injuste. À cause de moi, il a souffert pendant des années, et
pourtant je… Tout ce gâchis par ma faute… Je ne pourrai jamais me le pardonner…
— Ce
n’est pas une raison pour faire n’importe quoi !
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