Le Cercle du Phénix
reviendra saine et sauve. Je sais que
tu trouves mon attitude méprisable, se hâta-t-elle d’ajouter, mais tu ne me
laisses pas le choix.
La main de sa sœur se crispa sur la nappe empesée.
— Je
vois, tout est toujours de ma faute, je suis la seule responsable de tes
crimes. C’est un peu facile, tu ne penses pas ?
Angelia poussa un soupir contrarié.
— Oh,
ma chérie, tu ne vas pas recommencer… La petite constitue simplement une
assurance au cas où tu songerais à remettre en cause notre pacte. Ces derniers
temps, tu t’es éloignée de notre quête, j’essaie juste de te motiver un peu…
Elle se pencha brutalement en avant.
— Cet
homme…
— Quel
homme ? fit Cassandra, interloquée.
— Ton
ami Andrew Ward. Sa mort a dû profondément t’affecter. J’en suis navrée, et
sache que je partage ta peine.
Cassandra se raidit. Elle réalisa soudain que le gaz devait être allumé à
fond car la température dans la pièce était suffocante. Elle avait l’impression
de se trouver dans une étuve, et le regard inquisiteur dont la couvait Angelia
contribua à augmenter son malaise. Que savait exactement sa sœur de sa relation
avec Andrew ? Le moins possible, c’était à espérer, mais son expression
était indéchiffrable. Avait-elle compris que Cassandra n’avait trahi ses amis
que pour sauver Andrew et qu’elle n’avait plus aucun intérêt désormais à
trouver la pierre philosophale ?
— Que
peux-tu comprendre à ma peine ? lança sèchement la jeune femme, aucune
autre réplique ne lui venant à l’esprit.
— Quand
tu souffres, je souffre. Je ne puis rester insensible à ta douleur.
Angelia paraissait sincère, et Cassandra en fut ébranlée, ce qui lui
valut aussitôt une bouffée d’angoisse.
Le
domestique qui l’avait accueillie à son arrivée pénétra de nouveau dans la
salle à manger, les bras chargés d’un lourd plateau en vermeil. Avec une grande
économie de gestes, il servit l’entrée, une salade de homard, remplit les
verres des deux femmes d’un vin de Moselle frappé, puis se retira
silencieusement.
— Une
demi-guinée la bouteille, commenta Angelia en observant sa sœur à travers la
robe ambrée du vin. Dire qu’à une époque nous mourions de faim…
— Je
n’ai que des souvenirs très flous de notre passé, avoua Cassandra dont la
curiosité était éveillée. Raconte-moi…
Le beau visage d’Angelia s’assombrit et elle fronça les sourcils.
— Cela
n’en vaut pas la peine, dit-elle d’un ton bref.
— Mais…
— Tu
ferais mieux de manger, enjoignit-elle d’une voix frémissante de colère.
Cassandra la contempla avec stupéfaction, désarçonnée par ce brusque
changement d’humeur. Elle aurait voulu discuter plus avant de leur passé
commun, mais il était évident qu’Angelia souhaitait clore le sujet et qu’il
serait inutile, voire dangereux, de tenter de la faire changer d’avis. Elle se
résigna donc et s’apprêtait à entamer l’entrée lorsqu’un soupçon traversa son
esprit. La fourchette suspendue en l’air, elle scruta avec méfiance le contenu
de son assiette.
— La
nourriture n’est pas empoisonnée si c’est ce que tu crains, lança Angelia d’un
air froissé de l’autre bout de la table.
À son grand effroi, Cassandra crut voir des larmes briller dans les yeux
de sa sœur. La suspicion qu’elle manifestait à son endroit semblait la peiner
profondément, et Cassandra ne put s’empêcher de se sentir coupable, ce qui
était le comble. Pour se racheter (avait-elle perdu la tête ?), elle
attaqua avec appétit la salade de homard.
Angelia
retrouva aussitôt sa bonne humeur et se mit à babiller gaiement sous le regard
déconcerté de Cassandra. Avait-elle toujours été aussi versatile ?
Cassandra n’en savait rien.
— J’ai
vécu quelques années en Asie, à Hong Kong et en Chine, déclara Angelia sur le
ton de la conversation mondaine. Le savais-tu ?
— Oui,
c’est d’ailleurs là-bas que tu as rencontré ton époux, Lord Killinton.
— Le
cher homme, susurra Angelia avec un sourire attendri. Paix à son âme. Mais ce
n’est pas le plus important.
— Ah ?
fit Cassandra, s’attendant au pire.
— Non,
le plus important est que j’ai découvert l’alchimie en Asie. Peut-être as-tu
entendu parler du taoïsme ? Cette école de pensée, qui se réclame du sage
Lao-Tseu, est apparue en Chine vers le IV e siècle avant Jésus-Christ ; c’est
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