Le Cercle du Phénix
encore, Jeremy vint troubler sa retraite. Après
avoir frappé, il entra dans la chambre, livide, et se figea devant Julian qui
se leva d’un bond, le cœur battant. Gabriel était-il revenu au manoir ? Un
silence tendu et vibrant s’instaura dans la pièce. Julian interrogea le
journaliste du regard, mais celui-ci paraissait incapable de proférer un mot.
— Que
se passe-t-il ? le pressa Julian.
— Je…
Quelque chose de terrible est arrivé. Le cœur de Julian se glaça. Gabriel…
— Eh
bien, parlez donc ! supplia-t-il, sur le point de défaillir d’angoisse.
Jeremy baissa la tête et murmura :
— Andrew
est mort.
Chapitre X
Un vent glacial soufflait en rafales de la mer du Nord, crachant de la
neige fondue sur les tombes grisâtres disséminées dans le cimetière.
Grelottante et hébétée, la foule se dispersait à présent, grappes sombres dans
les allées humides et boueuses. Le col de leur manteau relevé, Julian et Jeremy
se dirigeaient à pas lents vers le portail de fer forgé. Derrière eux, Nicholas
donnait le bras à une Megan pantelante toute de noir vêtue qui marchait comme
une somnambule, les yeux perdus dans le vague.
— Il
y avait un monde fou, souffla Jeremy, impressionné. Le docteur Ward était
vraiment très apprécié.
Julian
se contenta de hocher la tête ; il n’avait pas le cœur à parler.
Andrew
était mort dans son cabinet, entre deux consultations. Sans qu’aucun signe ne
l’eût laissé prévoir, son cœur miné par la maladie avait tout à coup cessé de
battre, et un de ses domestiques était venu prévenir Megan au manoir. Ce décès
si brutal les avait tous profondément choqués, et les funérailles s’étaient
déroulées dans une atmosphère baignée de recueillement et d’émotion qui n’avait
laissé personne indemne.
D’ordinaire
inébranlable, Nicholas lui-même avait la tête ailleurs. Ses pensées se
focalisaient sur Cassandra, restée au manoir sous la surveillance de sa femme
de chambre. Depuis l’annonce de la mort d’Andrew, elle demeurait prostrée dans
ses appartements, blottie devant le feu qu’elle contemplait d’un air lointain.
Elle ne bougeait pas, ne parlait pas, ne mangeait pas, ne pleurait pas. Les
tentatives désespérées de Julian, Nicholas et Jeremy pour lui arracher un mot
s’étaient heurtées à un mur d’indifférence que rien ne semblait devoir
ébrécher. Recluse dans une prison dont elle seule détenait la clé, Cassandra ne
les voyait même pas. On aurait dit qu’elle s’était transformée en statue de
marbre. À ce rythme-là, elle allait finir par tomber vraiment malade.
Cette réaction si excessive, si peu conforme au tempérament de la jeune
femme, suscitait chez Nicholas une incompréhension inquiète. Il aurait préféré
la voir pleurer, crier, hurler. Cela aurait au moins prouvé qu’elle était
toujours vivante. Tandis que là…
*
Le jour suivant, sans crier gare, un déluge s’abattit sur le manoir
Jamiston. Une pluie torrentielle partit à l’assaut du toit qui résonna comme un
tambour sous l’ardeur de ses coups, avant de s’attaquer au parc qu’elle
transforma rapidement en une vaste étendue boueuse et impraticable. L’eau
dégouttait sans relâche de la gouttière du toit, des pierres en saillie, des
rebords des fenêtres, du porche, des pignons et du lierre qui couvrait les murs
par endroits. Le crépitement incessant des gouttes qui venaient battre contre
les vitres se mêlait aux gémissements du vent dans un sinistre vacarme.
Recroquevillée
dans un coin de sa chambre à même le sol, Megan pleurait en silence. Elle
souffrait au point d’être persuadée que ce calvaire ne s’arrêterait jamais.
Tout son univers s’était effondré avec la disparition d’Andrew, et elle se
sentait atrocement seule et vulnérable, avec comme un trou béant au milieu de
la poitrine. Qu’allait-elle devenir ?
Quelqu’un
frappa deux coups légers à la porte et entra sans attendre de réponse. Jeremy,
car c’était lui, jeta plusieurs coups d’œil circulaires à la pièce avant
d’apercevoir enfin Megan, dissimulée par un fauteuil. Sans un mot, il vint
s’asseoir près d’elle et posa maladroitement sa main sur l’épaule de la jeune
fille. Megan aurait voulu lui crier de partir, mais les sanglots qui menaçaient
de l’étouffer l’empêchèrent de proférer un son. Ils restèrent ainsi quelques
minutes, plongés dans un mutisme douloureux, puis Jeremy rompit
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