Le Cercle du Phénix
pas
moi le problème.
Les mains du lord se contractèrent sur ses genoux. Il décocha à Gabriel
un regard chargé de rancœur et d’amertume.
— Bien
sûr que c’est toi le problème ! Tu saisis le premier prétexte venu pour
tout détruire ! Tu n’essaies même pas de nous donner une chance !
Mais j’aurais dû m’y attendre : ce que je lis dans tes yeux depuis le
début, ce n’est pas de l’amour, juste de la perplexité, comme si tu avais toujours
su que notre relation était vouée à l’échec. Tu n’as jamais cru en nous,
jamais !
Si, il y avait cru. La nuit de l’entrevue avec Werner, la nuit où Julian
lui avait déclaré qu’il l’acceptait tel qu’il était, il avait imaginé l’espace
de quelques heures que tout était possible. Mais les vieux démons avaient
rapidement repris le dessus et le doute s’était une nouvelle fois insinué dans
son esprit perturbé. L’illusion d’un bonheur accessible s’était dissipée aussi
vite qu’elle était apparue.
Lentement, Gabriel s’assit près de Julian.
— Je
n’y arriverai pas, murmura-t-il. J’ai pensé un instant en être capable, mais je
me trompais, c’est au-dessus de mes forces… Ça ne marchera pas, et c’est
entièrement de ma faute…
Julian parut se recroqueviller sur lui-même. La voix de son amant
parvenait assourdie à ses oreilles, comme si elle avait franchi une très longue
distance.
— M’aimes-tu
un peu, Gabriel ? soupira-t-il d’un ton désabusé. M’aimes-tu un peu malgré
tout ?
L’air malheureux, le jeune homme ne répondit pas. Sans ménagement, Julian
emprisonna son bras et vrilla son regard dans le sien.
— Je
ne peux pas me battre seul, Gabriel ! Tu dois m’aider !
Sans rien dire, Gabriel se pencha vers lui et déposa un long baiser sur
ses lèvres. Puis il se leva et se dirigea vers la porte.
Julian se dressa d’un bond, frémissant de rage.
— Si
tu t’en vas…, balbutia-t-il, si tu t’en vas… ne reviens jamais ! Tu
m’entends ? Je ne veux plus jamais te revoir !
Gabriel s’immobilisa, la main sur la poignée. Durant quelques secondes,
il parut hésiter. Julian retint son souffle, le cœur au bord de l’explosion.
Finalement, Gabriel ouvrit la porte et sortit de la chambre. Le battant se
referma dans un claquement sec, et ce fut comme si, en partant, il avait
emporté la lumière.
Abandonné dans les ténèbres, Julian étouffa un sanglot.
*
Lorsque Jeremy arriva pour le souper, Cassandra et Nicholas le mirent au
courant du départ impromptu de Gabriel. À l’annonce de la nouvelle, le
journaliste pâlit affreusement.
— Parti…
comment ça, parti ? bredouilla-t-il d’un air pitoyable. Vous ne voulez pas
dire… parti définitivement, n’est-ce pas ?
Nicholas haussa les épaules et lui jeta un regard scrutateur.
— On
dirait bien que si. Pourquoi semblez-vous si atterré ? Après tout, vous ne
vous êtes jamais privé de dire tout le mal que vous pensiez de la relation
entretenue par Lord Ashcroft avec ce garçon. Rappelez-vous, vous traitiez
Gabriel de monstre, de criminel sanguinaire… Son départ devrait vous soulager.
Encore que vu son sens de l’orientation, il est peut-être toujours dans le
manoir à errer désespérément pour trouver la sortie !
Envahi par la rage, Jeremy serra si fort les poings que ses jointures
blanchirent.
— Ce
n’est pas le moment de plaisanter ! La situation est grave. Au moins,
quand il était ici, nous pouvions le surveiller. Maintenant qu’il est en
liberté dans la nature, il est redevenu incontrôlable, donc terriblement
dangereux !
— Je
m’inquiète surtout pour Julian, le coupa Cassandra d’un air anxieux. Il doit être
anéanti. J’ai essayé d’aller lui parler mais il a refusé de m’ouvrir.
Et de fait, Julian demeura prostré dans sa chambre durant plusieurs
jours. Les domestiques lui apportaient des repas auxquels il touchait à peine,
et il se refusait à parler à quiconque. Le sentiment de souffrance mêlé
d’injustice et de rancune qui l’accablait l’empêchait de se ressaisir. Il ne
pouvait que maudire la malchance qui le poursuivait et contempler, impuissant,
le désastre de sa vie. Surtout, une atroce sensation de manque le consumait, si
douloureuse qu’il avait parfois l’impression qu’il allait brusquement cesser de
respirer.
Un
soir, au moment où l’azur du ciel s’assombrissait tandis que les premières
étoiles s’allumaient, timides
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