Le Cercle du Phénix
elle qui a donné
naissance aux premières recherches d’ordre alchimique en Asie. Le taoïsme
distingue deux principes complémentaires, le yin, féminin, et le yang,
masculin. Tout dans le monde s’explique par la lutte et la réunion de ces deux
principes. Cette doctrine sous-tend la théorie alchimique et trouve son apogée
avec la pierre philosophale, dont le propre est d’unifier les contraires.
— Très
instructif, commenta poliment Cassandra, qui aurait de loin préféré s’entretenir
du sort de Megan.
— C’est
ce thème de la jonction des contraires qui rend l’alchimie si fascinante à mes
yeux, poursuivit Angelia avec animation. Le Cosmopolite disait que « celui
qui ne descend pas ne montera pas », et Ripley a écrit qu’il fallait passer
par « la porte de la noirceur » avant de gagner la « lumière
permanente ». Quelle remarquable lucidité, n’est-ce pas ? Un Dieu qui
n’est que Bien est mutilé, incomplet. Dieu doit être conciliation des
contraires, tout comme la pierre philosophale qui transcende les conflits
internes et ramène à l’unité. L’alchimie ne rejette pas le mal, elle l’assimile
et le transforme, refusant ainsi tout manichéisme, à l’inverse de la doctrine
chrétienne. Voilà à mon sens ce qui fait son intérêt et sa force.
— Je
constate en tout cas que tu maîtrises ton sujet, remarqua Cassandra,
impressionnée malgré elle. Rien d’étonnant à cela puisque tu y puises des
concepts qui arrangent ta morale.
Angelia baissa la voix et affirma avec une gravité sinistre :
— Toute
obscurité porte secrètement en elle son contraire, et le mal est préparation au
bien. On ne peut atteindre le ciel sans avoir au préalable fait le détour par
l’enfer, c’est la seule et unique vérité en ce monde.
Cassandra frémit ; le sérieux avec lequel sa sœur s’était exprimée
avait suscité en elle un trouble déplaisant. Comme pour la surprendre à
nouveau, Angelia secoua la tête et lui adressa un magnifique sourire.
— Le
ciel est proche si tu consens à m’aider. Lorsque la pierre philosophale sera à
moi, une vie de bonheur éternel s’ouvrira devant nous… Je rêve de ce jour
depuis des années, et ma rencontre fortuite avec Thomas Ferguson à Hong Kong a
accéléré le destin…
Cassandra reposa bruyamment ses couverts sur son assiette.
— Tu
connaissais personnellement Ferguson ? s’exclama-t-elle, suffoquée.
— Bien
entendu, puisqu’il travaillait pour moi.
Cassandra allait de surprise en surprise. Voilà une nouvelle qui risquait
fort de faire bondir Nicholas.
— C’est
donc sur tes ordres que Ferguson s’est lancé à la recherche de la pierre
philosophale de Cylenius ?
— Non,
les choses ne se sont pas passées ainsi, corrigea Angelia.
À ce moment, le domestique asiatique réapparut dans la salle à manger
avec la suite du dîner, un civet de chevreuil qui dégageait un fumet succulent,
et Angelia attendit qu’il ait quitté la pièce pour poursuivre son récit.
— Je
fis la connaissance de Thomas Ferguson à l’occasion d’un thé donné par une
relation commune, un ancien professeur de Cambridge à la personnalité si
insipide que je suis bien incapable de me rappeler son nom. Lors de cette
première rencontre, Ferguson m’apparut comme un homme passablement excentrique,
mais doté d’une grande culture et d’une intelligence méticuleuse. Il avait
cependant le défaut d’être un peu trop bavard pour son bien. Il nous raconta en
effet qu’il parcourait l’Asie dans un but précis, celui de retrouver une pierre
philosophale fabriquée au XIV e siècle
par un alchimiste praguois du nom de Cylenius ! Ses yeux brillaient tandis
qu’il nous contait sa quête, et il ressemblait à un enfant qui se serait vu
offrir le jouet de ses rêves. Bien entendu, toutes les personnes présentes le
toisèrent avec une commisération dédaigneuse, et il acquit ce jour-là une
réputation d’illuminé au sein de la colonie anglaise de Hong Kong.
— Mais
toi, tu l’as cru ? l’interrompit Cassandra d’un air dubitatif.
— Aussi
invraisemblables qu’ils parussent, les propos de Ferguson avaient aiguisé ma
curiosité. Je résolus d’en apprendre davantage et l’invitai à dîner chez moi.
Il accepta avec empressement, flatté de l’intérêt qu’une aristocrate séduisante
et fortunée telle que moi lui portait (Cassandra leva les yeux au ciel). Je le
revis par la suite à
Weitere Kostenlose Bücher