Le Cercle du Phénix
la Chambre des Horreurs, consacrée
aux victimes de la Révolution française et aux meurtriers.
Après un regard au musée, Nicholas reprit le cours de la
conversation.
— Que
savez-vous de Lord Ashcroft ? demanda-t-il abruptement tandis qu’un
marchand des quatre-saisons passait près d’eux avec sa charrette en faisant
l’article d’une voix tonitruante.
Surpris, Andrew se tourna vers son compagnon.
— Pourquoi
cette question ?
— Simple
curiosité. Il m’a l’air d’un homme assez secret… très austère et mélancolique.
— C’est
vrai. Il sourit rarement, ne rit jamais. Julian est un homme mystérieux qui
semble se complaire dans la brume qui l’entoure. Il est issu d’une des familles
les plus anciennes et les plus nobles d’Angleterre, possède plus d’argent que
de désirs. Son père a été plusieurs fois membre du Cabinet, en tant que
secrétaire des Affaires étrangères notamment. Julian a été marié il y a
quelques années de cela. Il a d’ailleurs une fille, Laura, qui doit avoir cinq
ans aujourd’hui.
— Il
a été marié ? Il ne l’est donc plus ?
— Non,
mais j’ignore s’il est veuf ou divorcé. Il se montre très peu disert sur son
passé.
— S’il
a divorcé, cela a dû provoquer un beau scandale…
— Sans
doute. Depuis, il vit en ermite sur ses terres, quittant en de rares occasions
sa retraite pour venir à Londres. Son attitude est incompréhensible, car en
s’exilant ainsi volontairement, il gâche toutes les opportunités que lui
offrent son titre et sa fortune.
— Que
peut-il bien faire de ses journées s’il a renoncé à toute société ?
L’oisiveté est un terrible poids à supporter pour les gens du beau monde…
— Il
lit beaucoup, je suppose. Lord Ashcroft est l’homme le plus brillant que j’aie
jamais rencontré. Ses discours révèlent une grande indépendance de pensée, une
érudition et une culture très étendues. Mais voilà tout ce que je puis vous
apprendre à son sujet ; je n’en sais pas davantage.
« Julian est aussi désespérément raffiné, élégant,
affable, généreux, spirituel, charismatique et j’en passe », compléta
mentalement Andrew avec un petit pincement au cœur. Bref, désespérément
désespérant.
— Est-ce
vraiment tout ? repartit Nicholas qui lui lança un coup d’œil goguenard
comme s’il avait suivi le cours de ses pensées. Vous oubliez le principal ce me
semble : le fait qu’il ait eu une liaison avec Cassandra.
Andrew s’immobilisa de nouveau au milieu du trottoir,
abasourdi autant que choqué par la crudité de l’affirmation.
— Quoi ?
— Ne
faites pas l’innocent, vous aussi avez dû le remarquer, poursuivit Ferguson,
sourire aux lèvres. Cette évidence n’a pu vous échapper.
Le médecin reprit sa marche en silence, maudissant intérieurement
les dons d’observation de Nicholas. Bien sûr que Julian et Cassandra avaient été amants. La jeune femme ne l’avait jamais
admis, mais Andrew la connaissait suffisamment pour deviner la vérité.
Toutefois, cette liaison appartenait au passé. Il n’avait certes aucun désir
d’évoquer le sujet avec quiconque, et surtout pas avec cet homme qui semblait
prendre un malin plaisir à tenter de lui faire perdre la face.
Tout en discutant, ils étaient arrivés en vue du cabinet
d’Andrew. Celui-ci prit congé de son compagnon avec empressement.
— J’ai
encore de nombreux patients à voir, nous nous retrouverons chez Cassandra en
fin de journée. J’espère que d’ici là nous aurons de ses nouvelles.
— Je
le souhaite aussi, dit Nicholas en faisant volte-face et en agitant
nonchalamment sa main gantée en signe d’adieu. À ce soir ! Je m’occuperai
bien de votre sœur pendant votre absence !
À ces mots, Andrew faillit s’étrangler de rage. Ce
Ferguson était décidément insupportable.
*
La lune en lame de faucille répandait une lueur blafarde
sur la grande maison aux cheminées Tudor et au toit moussu perdue au milieu de
l’immense parc. La configuration des lieux allait faciliter le travail de
Cassandra. Perchée au sommet du mur d’enceinte, à une cinquantaine de mètres du
corps de logis, cette dernière s’apprêtait à passer à l’action. Elle devait
exécuter son projet cette nuit, avant que le propriétaire du domaine ne regagne
sa demeure pour le week-end.
L’improvisation était reine ce soir. Cassandra avait
certes repéré les lieux à
Weitere Kostenlose Bücher