Le Cercle du Phénix
perturbé depuis mon retour. Que se passe-t-il ? Serais-tu
contrarié à cause… de l’horloge ?
Andrew parut émerger de sa rêverie. Il se tourna vers
son amie et la scruta calmement.
— Tu
l’as volée, n’est-ce pas ? Tu as manqué à ta promesse.
Cassandra baissa les yeux, gênée comme une petite fille
prise en faute. Elle aurait préféré qu’il se mette en colère. Son ton paisible,
et cependant lourd de reproches, la déstabilisait.
— Je
n’avais pas le choix, se défendit-elle, mal à l’aise.
— Pourquoi
ne pas avoir essayé tout simplement d’acheter l’horloge à son
propriétaire ?
— J’y
ai pensé, bien sûr, mais s’il avait refusé de me la vendre et qu’elle ait été
volée juste après ma visite, il m’aurait immédiatement soupçonnée. Je ne
pouvais courir le risque d’attirer l’attention sur moi.
Cassandra n’avait parlé à personne de l’attaque du
Cercle du Phénix dont elle avait fait l’objet, et elle se félicita
intérieurement de cette décision. Andrew se serait inquiété encore davantage
s’il avait été au courant.
— Je
comprends, murmura celui-ci, qui parut tout à coup très fatigué. Mais ce n’est
pas ce qui me préoccupait de toute façon. En fait, poursuivit-il après un
silence, j’ai perdu un de mes patients de l’asile peu avant ton retour. Un
garçonnet d’à peine six ans, le petit Dick Monahon.
— Oh !
Je… je suis navrée, balbutia Cassandra, prise au dépourvu.
Quelle égoïste elle faisait ! Croire qu’Andrew
était préoccupé à cause d’elle… Elle se sentait idiote et terriblement confuse.
— J’aurais
aimé pouvoir le sauver, ajouta Andrew très bas.
— Tu
ne peux pas guérir tout le monde ! protesta la jeune femme. Je suis
certaine que tu as fait tout ton possible.
— Mais
cela n’a pas été suffisant, rétorqua Andrew d’un ton amer.
Cassandra contempla son ami avec tristesse. Il prenait
son métier très à cœur, trop peut-être. La souffrance d’autrui le bouleversait,
et il avait une fâcheuse tendance à culpabiliser lorsque par malheur un de ses
patients passait de vie à trépas. Elle aurait aimé le réconforter, trouver les
mots justes pour l’empêcher de se torturer. Dans un geste apaisant, elle leva
la main vers l’épaule d’Andrew, hésita quelques secondes, se ravisa, et la
laissa lentement retomber. Non, aussi sincère que fût son désir de l’aider,
elle était bien incapable d’un tel exploit.
Le cœur lourd, Cassandra quitta la pièce.
« Ayant parlé à Voss de l’affaire
d’Helvétius, il se moqua de moi, s’étonnant de me voir occupé à de telles
bagatelles. Pour en avoir le cœur net, je me rendis chez le monnayeur Brechtel,
qui avait essayé l’or. Celui-ci m’assura que, pendant sa fusion, l’or avait
encore augmenté de poids quand on y avait jeté de l’argent. Il fallait donc que
cet or, qui a changé l’argent en de nouvel or, fût d’une nature bien
particulière. Je me rendis ensuite chez Helvétius lui-même, qui me montra l’or
et le creuset contenant encore un peu d’or attaché à ses parois. Il me dit
qu’il avait jeté à peine sur le plomb fondu le quart d’un grain de blé de
pierre philosophale. Il ajouta qu’il ferait connaître cette histoire à tout le
monde. Il paraît que cet adepte avait déjà fait la même expérience à Amsterdam,
où on pourrait encore le trouver. Voilà toutes les informations que j’ai pu prendre à ce sujet. »
Avec une attention passionnée, Julian relut ces lignes.
Elles étaient tirées d’une lettre que le célèbre philosophe Spinoza avait
adressée à Jarrig Jelles le 25 mars 1667. Ces quelques phrases prouvaient
irréfutablement la véracité de l’expérience vécue par Helvétius un an plus tôt
à La Haye.
Jean-Frédéric Schweitzer, connu sous le nom latin
d’Helvétius, était un savant considéré et l’un des adversaires les plus
acharnés de l’alchimie au XVII e siècle.
Toutefois, ses opinions changèrent radicalement en 1666. Le 27 décembre de ladite
année, il reçut en effet la visite d’un étranger qui refusa obstinément de
dévoiler son nom. L’inconnu annonça à Helvétius qu’ayant eu vent de ses
critiques à l’encontre de la science d’Hermès, il venait lui apporter la preuve
matérielle de l’existence de la pierre philosophale. Il lui montra alors une
petite boîte d’ivoire contenant une poudre d’une métal line couleur de
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