Le Cercle du Phénix
utilise une table composée de vingt-six alphabets,
écrits dans l’ordre, mais décalés de ligne en ligne d’un caractère. Pour coder
un message, on choisit une clé qui sera un mot de longueur arbitraire. On écrit
ensuite cette clé sous le message à coder, en la répétant aussi souvent que
nécessaire pour que sous chaque lettre du message à coder on trouve une lettre
de la clé. Pour coder, on regarde dans le tableau l’intersection de la ligne de
la lettre à coder avec la colonne de la lettre de la clé.
Julian s’interrompit soudain. Megan et Jeremy le
contemplaient bouche bée, le regard chargé d’incompréhension. Andrew et
Nicholas n’étaient guère plus à l’aise. Seule Cassandra paraissait surnager
dans ces eaux obscures.
— Ai-je
été trop vite ? Souhaitez-vous que je répète ?
— Non,
répondit Cassandra. Continuez, s’il vous plaît.
— Cet
algorithme de cryptographie comporte de nombreux points forts. Il est très
facile d’utilisation, mais extrêmement complexe à déchiffrer car une infinité
de clés peuvent être produites.
— Mais…
vous avez réussi, n’est-ce pas ? hasarda Jeremy, plein d’espoir.
— Le
décryptage est difficile, mais pas impossible. En vérité, ce type de code comporte
des failles : l’essentiel est de trouver la longueur de la clé…
Julian s’interrompit de nouveau, frappé par le désarroi
manifeste de ses interlocuteurs. Il semblait douloureusement surpris de leur
inaptitude à saisir les finesses et subtilités de la cryptographie.
Désappointé, il se résolut à abréger l’explication en allant au plus simple.
— Le
code était complexe mais la clé facile à trouver puisque Lubomir Straski a
utilisé son propre pseudonyme, « Cylenius ». En utilisant cette clé,
j’ai pu décoder le message. Il s’agit de la devise latine « Omnia ab uno et in unum omnia », « Tout est en un et un est en tout », qui
renvoie au dogme fondateur de l’alchimie, celui de l’unité.
Cassandra alla chercher la boîte d’émeraude et la posa
précautionneusement sur la table. Avec une prudente lenteur, elle tapa cette
devise sur le clavier de bois. Chacun retint sa respiration, le cœur battant, à
l’écoute du moindre bruit provenant du mécanisme. Enfin, au bout de ce qui leur
parut être une éternité, un déclic se produisit et le couvercle se souleva.
— Julian,
vous êtes un génie, souffla Cassandra au grand désespoir d’Andrew.
Une nouvelle déconvenue les attendait toutefois :
la boîte ne contenait qu’un autre parchemin à la patine jaunâtre et aux coins
morcelés par les siècles. Ils restèrent un moment immobiles à le contempler,
digérant leur déception.
— C’est
sans fin, siffla Nicholas entre ses dents.
— Les
alchimistes étaient prudents, observa Julian.
Il prit délicatement le manuscrit entre ses doigts et se pencha sur
l’encre pâlie.
— Il
s’agit d’un plan qui indique l’emplacement d’une île. Le nom d’une ville est
indiqué sur la carte pour nous guider : Inverness…
Il redressa la tête et sourit.
— L’Écosse…
C’est là-bas qu’est caché le Triangle de l’Eau…
*
Les Werner venaient de finir de souper dans leur vaste
demeure de Bedford Square, et les membres de la famille étaient réunis dans le
grand salon surchargé de meubles massifs, de peintures, de miroirs, de
compositions de fleurs séchées, de broderies, d’ornements et de figurines de
porcelaine. La pièce respirait l’aisance matérielle et la respectabilité, et
cependant elle dégageait une irrémédiable sensation de tristesse. Beau, mais
lourd, l’ameublement était principalement constitué de chaises, tables,
crédences et consoles en chêne noir. Le tapis de Turquie qui couvrait le
parquet était sombre et très épais. Les lampes à gaz sur le mur grésillaient
doucement en dessinant des cercles de lumière blafarde qui ne parvenaient qu’à
grand-peine à vaincre l’obscurité ambiante. La tapisserie de velours et les
volumineux rideaux qui obturaient les quatre fenêtres donnant sur la rue
étaient d’un vert foncé paraissant presque noir à la lumière.
Assis dans un vaste fauteuil de cuir capitonné près de
la cheminée, le Commandeur était plongé dans Le Bulletin de la Bourse. Son épouse Emily faisait les comptes du ménage à son
bureau, tandis que ses filles, Victoria et Brittany, s’adonnaient à la broderie
sur le sofa. La maison
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