Le Cercle du Phénix
soufre,
et il se servit de cette poudre pour pratiquer la transmutation des
métaux : sous le regard confondu d’Helvétius, la pierre philosophale
changea le plomb en or. Le digne savant fut tellement émerveillé de ce succès
qu’il écrivit un ouvrage, Vitulus aureus , dans lequel il
relata cette expérience et prit la défense de l’alchimie.
Les exemples de ce type abondaient. Les alchimistes avaient
souvent pratiqué la transmutation des métaux devant témoins, de façon telle que
la fraude était rendue impossible, et les multiples témoignages historiques
semblaient constituer des arguments irréfragables en faveur de l’existence de
la pierre philosophale. Du reste, de brillants scientifiques tels qu’Helvétius
étaient difficiles à tromper, et ils n’avaient en outre aucun intérêt à mentir.
En soupirant, Julian reposa l’Histoire de l’alchimie sur le bureau. Sa raison l’empêchait d’admettre la
réalité de la pierre philosophale, et cependant ces témoignages le troublaient
profondément à la lueur des derniers événements.
Avec un nouveau soupir, il reporta son attention sur le
bureau. Devant lui s’étalaient une dizaine de feuillets couverts de son écriture
serrée, fruits de sa tentative de décryptage du parchemin de Cylenius. Après
avoir passé de longues heures penché sur le document, son crâne commençait à le
faire sérieusement souffrir, d’autant qu’il n’avait effectué aucun progrès
depuis la veille. Suivant quelle loi ces lettres avaient-elles été
réunies ? Lord Ashcroft n’en avait toujours pas la moindre idée. Les
combinaisons des langages chiffrés se comptant par milliards, il risquait de
passer encore un long moment à étudier le parchemin. À cette idée, son mal de
tête s’accrut.
Et pourtant, il était heureux d’avoir trouvé ce
dérivatif à ses pensées. Depuis son arrivée au manoir Jamiston la semaine
précédente, son esprit ne cessait de vagabonder, l’empêchant de se concentrer
sur quelque sujet que ce soit. Malgré lui, ses pensées revenaient constamment à
cet étrange garçon aux cheveux blancs qu’il avait recueilli et soigné, et qui
s’avérait être un dangereux assassin, un ennemi… Il se demanda où le jeune
homme pouvait se trouver en cet instant, s’il s’était remis de sa blessure à
l’épaule. Avait-il toujours son regard d’enfant perdu… ?
Julian secoua brusquement la tête, espérant ainsi
chasser ces idées ridicules. Son attitude virait au grotesque. En quoi le sort
de ce criminel lui importait-il ? Agacé, il se leva pour aller dîner.
Son entrée dans la salle à manger, dans laquelle tout le
groupe était déjà réuni autour de la longue table en acajou, fut accueillie par
des regards interrogateurs. Sans dire un mot, il s’assit et contempla
distraitement les riches tapisseries flamandes qui ornaient l’un des murs,
attendant que le majordome ait terminé le service et quitté la pièce pour
parler.
— Je
n’ai pas encore déchiffré le document, annonça-t-il lorsque la porte se fut
refermée sur le domestique. J’ai utilisé toutes les méthodes de cryptographie
connues avant 1575, date supposée de la mort de Cylenius selon Dolem, mais
aucune ne s’applique à ce message. Le code de César par exemple…
— Le
quoi ? l’interrompit Jeremy, interloqué.
— Le
code de César consiste en une substitution mono-alphabétique définie par un
décalage de lettres. Par exemple, si on remplace À par D, on remplace B par E,
C par F, D par G, et ainsi de suite.
Son auditoire opina, fasciné.
— Il
existe d’autres méthodes par substitution ou transposition mono-alphabétique,
comme le carré de Polybe. Mais toutes celles que j’ai tentées sur ce texte ont
échoué…
Il s’interrompit soudain, comme si la lumière venait de
se faire dans son esprit.
— À moins
que… non… ce serait extraordinaire… Cassandra haussa des sourcils
interrogateurs.
— Que
se passe…
Elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Julian, mû par une
impulsion subite, avait déjà quitté la pièce.
*
Monumentale, la bibliothèque du manoir Jamiston
s’étendait sur deux étages, avec plusieurs escaliers de bois desservant une
galerie qui courait le long des murs couverts de reliures. Entre les deux
fenêtres du fond, face à une haute cheminée où ronflait un feu impressionnant,
cinq gros fauteuils flanqués chacun d’un guéridon supportant une
Weitere Kostenlose Bücher