Le Cercle du Phénix
aurait pu
avoir facilement le dessus. Cette inertie inquiétait Cassandra. À moins que le
Cercle ne les laissât accomplir tout le travail pour en récolter ensuite les
fruits à leur place. Dans ce cas, s’ils récupéraient le Triangle de l’Eau, ils
devraient se tenir doublement sur leurs gardes.
La voix d’Andrew, vibrante de colère, tira Cassandra de
ses réflexions. Lui non plus n’était pas dans son état normal, car il ne
s’emportait jamais d’habitude. Ses yeux verts étincelaient dangereusement dans
la pénombre du train.
— Admettons
même que cette pierre existe, disait-il, et que nous la trouvions. Qu’en
ferions-nous ? Quelqu’un a-t-il réfléchi à cela ? Pourrions-nous
utiliser un tel pouvoir sans risquer de nous y brûler les ailes ?
— Oh,
nous avons bien le temps d’y penser, rétorqua Jeremy avec nonchalance. Pourquoi
dramatiser ? Songez plutôt aux bienfaits que la pierre…
— Je
ne dramatise pas, le coupa Andrew. De toute manière, la pierre philosophale
n’existe pas ; ce n’est qu’un mythe destiné à engendrer de faux espoirs,
et seuls des fous tels que nous peuvent être assez stupides pour se lancer à sa
recherche !
La véhémence d’Andrew déconcerta ses compagnons, à
commencer par Megan et Cassandra.
— Je
peux comprendre votre scepticisme, déclara Nicholas après un silence. Ce que je
comprends moins en revanche, c’est le motif pour lequel vous nous avez
accompagnés.
Les deux hommes s’affrontèrent du regard, mais à ce
moment le train ralentit et pénétra en gare d’Edimbourg, et la conversation en
resta là. Voilà cependant au moins une question dont
Cassandra connaissait la réponse.
*
Charles Werner était d’excellente humeur. Il avait passé
une nuit tout à fait délicieuse, et son séjour en Écosse s’annonçait sous les
meilleurs auspices. Prétextant auprès de sa famille un voyage d’affaires, il
était arrivé la veille au soir de Londres par le même train que Cassandra et
ses amis, et avait aussitôt établi son quartier général à Édimbourg dans une
résidence du Cercle du Phénix. L’organisation possédait en effet un nombre
incalculable de repaires disséminés sur l’ensemble du territoire, avec une
priorité accordée aux grandes villes du pays, dont Édimbourg faisait
naturellement partie.
De bel appétit, Werner entamait son déjeuner, composé de
thé, d’œufs pochés et de jambon grillé, lorsqu’il avisa en face de lui le
garçon aux cheveux blancs qui, assis sur le rebord de la fenêtre, contemplait
d’un œil vide le jardin de la villa.
— Viens
manger quelque chose, l’interpella Werner en ébauchant un geste d’invite dans
sa direction.
Le jeune homme ne manifesta aucune réaction. De fait, il
était difficile de savoir s’il avait même entendu son chef.
Werner posa ses couverts sur la table et soupira
bruyamment. Dieu que ce garçon était pénible ! Si on ne le surveillait
pas, il était tout à fait capable de se laisser mourir de faim dans un coin.
— Viens
donc, insista-t-il. Il faut que tu manges.
N’obtenant toujours pas de réaction, il haussa les épaules et
reporta en désespoir de cause son attention sur le déjeuner. Le silence régna
quelques minutes, uniquement troublé par le cliquetis des couverts, puis
Werner, qui se sentait décidément d’humeur magnanime, apostropha de nouveau son
jeune complice :
— Tu
n’es pas obligé de rester enfermé ici pour le moment. Tu peux aller faire un
tour en ville si tu le souhaites.
Non. Très mauvaise idée. Le garçon risquait de se perdre
et de ne jamais retrouver le chemin de la maison. Aussi Werner se ravisa-t-il
prestement.
— Non,
réflexion faite, reste ici, cela vaut mieux !
Injonction bien inutile, puisque le jeune homme n’avait pas bougé d’un
pouce et continuait à fixer le paysage d’un air apathique.
Son repas terminé, Werner repoussa l’assiette vide avec
un soupir de contentement et se laissa aller contre le dossier de la chaise en
fermant les yeux. Les mains croisées sur le ventre, il parut bientôt plongé
dans un bienheureux sommeil. Vision trompeuse toutefois puisqu’en réalité il
réfléchissait à l’affaire qui l’amenait en Ecosse.
Dès leur descente du train à la gare d’Édimbourg,
Cassandra Jamiston et ses compagnons avaient été à nouveau pris en chasse par
des hommes du Cercle et leurs moindres actes étaient désormais placés sous
haute
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