Le Chant de l'épée
fenêtre. Il en sortit une feuille qu’il examina.
— La vieille ville, à ce que je sais, possède
six portes. De laquelle parles-tu ?
— De la porte ouest la plus proche de la
rivière. Celle que les habitants nomment la porte de Ludd.
— Et au nord ?
— Il y en a deux, l’une menant
directement à la forteresse romaine et l’autre au marché.
— Le forum, me corrigea-t-il.
— Nous prendrons celle qui mène au marché.
— Pas celle du fort ?
— Le fort fait partie des murailles, expliquai-je.
Si nous prenons cette porte, nous devons tout de même traverser la muraille sud.
Mais si nous prenons la place du marché, nos hommes coupent la retraite à
Sigefrid.
Je racontais ces sottises pour une bonne
raison, même si c’était plausible. Lancer depuis la nouvelle ville saxonne l’assaut
sur les anciennes murailles ferait accourir les défenseurs vers la porte de
Ludd ; et si une troupe plus petite et mieux entraînée pouvait attaquer
depuis le nord, elle trouverait peut-être cette position moins bien garnie. Une
fois entrée dans la ville, cette troupe pourrait attaquer les hommes de
Sigefrid par l’arrière et ouvrir la porte de Ludd pour laisser entrer le reste
de l’armée. C’était, en vérité, la manière évidente d’attaquer la ville, si
évidente d’ailleurs que j’étais sûr que Sigefrid s’en douterait.
Æthelred se taisait. Il attendait l’opinion de
son beau-père.
— Le fleuve, hésita Alfred, avant de
secouer la tête.
— Le fleuve, seigneur ?
— Une approche avec des navires ? suggéra-t-il,
toujours hésitant.
Je laissai l’idée en suspens : c’était
comme agiter un morceau de viande devant un chiot mal dressé.
Et le chiot se jeta dessus.
— Un assaut par le fleuve est franchement
une meilleure idée, assura Æthelred. Quatre ou cinq ? Portés par le
courant ? Nous pouvons débarquer sur les quais et attaquer les murailles
par le revers.
— Une attaque par voie de terre sera
dangereuse, dit pensivement Alfred.
— Et probablement vouée à l’échec, renchérit
Æthelred sans chercher à dissimuler son mépris pour ma stratégie.
— As-tu songé à attaquer par le fleuve ?
me demanda Alfred.
— Oui, seigneur.
— Cela me paraît une bonne idée, affirma
Æthelred.
C’est là que je pus donner au chiot la
correction qu’il méritait.
— Il y a une muraille sur le fleuve, seigneur,
dis-je. Nous pouvons débarquer sur les quais, mais il reste une muraille à
franchir.
Le rempart était bâti juste derrière les quais.
C’était l’œuvre des Romains, ce rempart tout de maçonnerie de brique et ponctué
de bastions circulaires.
— Ah…, fit Alfred.
— Mais bien sûr, seigneur, si mon cousin
souhaite mener une attaque sur cette muraille…
Æthelred resta coi.
— Ce rempart est-il haut ? demanda
Alfred.
— Assez, oui, et fraîchement réparé, mais
bien entendu je m’incline devant l’expérience de ton gendre.
Alfred savait qu’il n’en était rien et me jeta
un regard irrité avant de me rendre la monnaie de ma pièce.
— Le père Beocca me dit que tu as pris le
frère Osferth à ton service.
— En effet, seigneur.
— Ce n’est pas ce que je désire pour lui,
répondit Alfred. Aussi, tu me le renverras.
— Bien sûr, seigneur.
— Il est appelé à servir l’Église, dit
Alfred, trouvant sans doute que je capitulais facilement. Je ne puis tolérer la
présence de Sigefrid, dit-il en se tournant vers la fenêtre. Nous devons
rouvrir le fleuve au négoce, et vite. Je veux que ce soit fait avant le premier
chant du coucou. Le seigneur Æthelred commandera l’armée.
— Merci, seigneur, dit Æthelred en
mettant un genou en terre.
— Mais tu suivras les conseils du
seigneur Uhtred, insista le roi.
— Bien sûr, seigneur, mentit Æthelred.
— Uhtred a plus d’expérience de la guerre
que toi.
— Ses conseils me seront précieux, mentit
Æthelred.
— Et je veux cette ville prise avant le
premier chant du coucou ! répéta le roi.
Cela nous laissait six semaines environ.
— Tu vas mander les hommes dès maintenant ?
demandai-je à Alfred.
— Je le ferai, dit-il, et vous vous
occuperez des préparatifs.
— Et je te donnerai Lundene, entonna Æthelred.
Ce que la prière demande, seigneur, la foi humble le reçoit !
— Je ne veux pas de Lundene, répliqua
Alfred. Elle appartient à la Mercie, à toi, mais peut-être me permettras-tu d’y
nommer un
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