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Le Chant de l'épée

Le Chant de l'épée

Titel: Le Chant de l'épée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Cornwell
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m’inclinai bien bas.
    — Heureuse journée, ma dame, dis-je.
    Ælswith m’ignora. Elle était assise auprès de
mon cousin, qui agita vers moi une côte de porc.
    — Nous avons à parler, toi et moi.
    — En vérité.
    — En vérité, seigneur, corrigea Ælswith. Le
seigneur Æthelred est ealdorman de Mercie.
    — Et moi seigneur de Bebbanburg, répondis-je
avec aussi peu d’aménité. Comment te portes-tu, mon cousin ?
    — Au matin, je te dirai mes projets.
    — On m’a appris, dis-je, que nous devions
voir le roi ce soir ?
    — Je dois vaquer à d’autres affaires ce
soir, dit Æthelred en jetant à sa jeune épousée un regard de fauve. Au matin, après
les prières, conclut-il en agitant de nouveau son bout de viande pour me
congédier.
    Ce soir-là, Gisela
et moi couchâmes dans la grande chambre de la taverne des Deux Grues. La fumée
de la salle montait par les fentes du plancher, et nous entendions des hommes
chanter au-dessous de nous. Nos enfants dormaient de l’autre côté de la pièce
avec la nourrice de Stiorra, et des souris grouillaient dans le chaume.
    — Il fallait que cela arrive, je crois, observa
Gisela d’un ton de regret.
    — Il fallait ?
    — La pauvre Æthelflæd devient une femme.
    — Elle a hâte, dis-je.
    — Il va la déflorer comme un sanglier, murmura-t-elle.
(Comme je ne répondais rien, elle posa la tête sur ma poitrine.) L’amour
devrait être tendresse.
    — Il l’est.
    — Avec toi, oui.
    Je crus un instant qu’elle pleurait et je lui
caressai les cheveux.
    — Qu’y a-t-il ?
    — Je l’aime bien, voilà tout.
    — Æthelflæd ?
    — Elle a de l’esprit et il n’en a aucun. Tu
ne m’avais jamais dit, me reprocha-t-elle soudain en relevant la tête, que les
Deux Grues étaient un bordel.
    — Il n’y a guère de lits à Wintanceaster,
et pas assez pour tous les invités de la noce. Nous avons eu de la chance de
trouver cette chambre…
    — Et on te connaît bien, ici, Uhtred, m’accusa-t-elle.
    — C’est aussi une taverne.
    Elle éclata de rire et poussa le volet. Le
ciel était rempli d’étoiles.
    Il était tout aussi clair le lendemain matin
quand je me rendis au palais, déposai mes deux épées et fus introduit dans la
chambre d’Alfred par un jeune et grave prêtre.
    Je l’avais souvent vu dans cette petite
cellule dépouillée et encombrée de parchemins. Il m’y attendait, vêtu du froc
brun qui lui donnait l’air d’un moine, accompagné d’Æthelred, qui portait
encore ses épées, car, étant ealdorman de Mercie, il avait ce privilège dans le
palais. Un troisième homme était là, Asser le moine gallois, qui posa sur moi
un regard haineux. C’était un homme menu, au visage blême et soigneusement rasé.
Il avait cause de me haïr. Je l’avais connu en Cornwalum, où il était en
émissaire, et, quand j’avais mené un massacre, j’avais tenté de le tuer aussi, et
je devais regretter toute ma vie d’y avoir échoué. Je répondis à sa mine
renfrognée par un sourire destiné à l’agacer plus encore.
    Alfred ne leva pas le nez de ses documents
mais il me fit signe de sa plume. C’était d’évidence un geste de bienvenue. Il
se tenait debout devant son pupitre, et pendant un moment je n’entendis que sa
plume gratter le parchemin. Æthelred souriait, tout content de lui, comme à son
habitude.
    —  De consolatione philosophiae, dit
le roi sans lever la tête.
    — On dirait que la pluie ne va pas tarder,
répondis-je. Il y a une brume à l’horizon et le vent est vif.
    Il me jeta un regard exaspéré :
    — Qu’y a-t-il de plus suave en ce bas
monde que de servir son roi ?
    — Rien ! s’exclama Æthelred.
    Je ne répondis pas, car j’étais étonné. Alfred
aimait que l’on respecte les bonnes manières, mais il exigeait rarement l’obséquiosité ;
pourtant, la question laissait penser qu’il attendait que j’exprime quelque
adoration. Voyant ma surprise, il soupira.
    — C’est une question posée dans l’œuvre
que je copie, expliqua-t-il.
    — J’ai hâte de la lire, dit Æthelred.
    Asser ne pipa mot, se contentant de m’observer
de ses petits yeux noirs. C’était un homme rusé et aussi peu digne de confiance
qu’une fouine qui souffre d’éparvin.
    Alfred posa sa plume.
    — Le roi, dans ce texte, seigneur Uhtred,
pouvant être considéré comme représentant du Dieu tout-puissant, la question ne
laisse-t-elle point penser qu’il y a un réconfort à trouver

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