Le Chant de l'épée
allions combattre, cela, je n’en
doutais pas. Je touchai mon amulette et priai dans la nuit de vivre assez
longtemps pour voir l’enfant qu’attendait Gisela. Puis nous retournâmes au sud.
Osric, qui m’avait
ramené de Lundene avec le père Pyrlig, était l’un de nos capitaines, et l’autre
était Ralla, celui qui avait emmené mes hommes embusquer les Danes dont j’avais
pendu les corps auprès du fleuve. Ralla avait franchi la brèche bien souvent.
— Mais jamais la nuit, me dit-il quand
nous arrivâmes à l’île.
— Est-ce possible ?
— C’est ce que nous allons apprendre, seigneur…
Æthelred avait laissé une centaine d’hommes
sur l’île pour garder les navires. Ils étaient sous les ordres d’Egbert, un
vieux guerrier qui portait une chaîne d’argent au cou en signe d’autorité ;
il défia la mienne quand nous arrivâmes. Il ne me fit pas confiance et crut que
j’avais renoncé à mon assaut au nord parce que je ne voulais pas qu’Æthelred
réussisse. Il fallait qu’il me donne des hommes, mais plus je le suppliais, plus
il se cabrait. Mes hommes embarquaient sur les deux navires.
— Comment puis-je savoir que tu ne
retournes pas à Coccham ? interrogea Egbert.
— Steapa ! criai-je. Dis à Egbert où
nous allons.
— Tuer des Danes, gronda Steapa depuis le
feu de camp qui faisait rougeoyer sa cotte et son visage.
— Donne-moi vingt hommes, priai-je Egbert.
— Je ne puis.
— Pourquoi ?
— Nous devons garder dame Æthelflæd, dit-il.
Ce sont les ordres du seigneur Æthelred.
— Alors laisse vingt hommes sur son
navire et donne-moi les autres.
— Je ne puis, s’entêta Egbert.
— Tatwine m’aurait donné des hommes, soupirai-je.
Je le connaissais.
C’était l’ancien commandant des gardes du père
d’Æthelred.
— Je sais que tu le connaissais. Je me
souviens de toi.
Son ton sec me fit comprendre qu’il ne m’aimait
point.
Jeune homme, j’avais servi sous les ordres de
Tatwine pendant quelques mois, lorsque j’étais un ambitieux tapageur et
arrogant. Egbert pensait d’évidence que je n’avais point changé et peut-être
avait-il raison.
Il se détourna et je crus qu’il me congédiait,
mais il regardait en fait une pâle silhouette fantomatique apparue au-delà des
feux. C’était Æthelflæd, qui avait manifestement vu notre arrivée, et pataugé
jusqu’à la rive, enveloppée d’une cape blanche. Ses cheveux dénoués flottaient
sur ses épaules. Elle se trouvait avec le père Pyrlig.
— Tu n’es point avec Æthelred ? demandai-je,
surpris de voir le prêtre.
— Sa seigneurie a jugé ne plus avoir
besoin de conseils et m’a donc demandé de demeurer ici et prier pour lui.
— Il n’a point demandé, corrigea
Æthelflæd, il te l’a ordonné.
— Oui, et comme tu peux le voir, je suis
vêtu pour la prière. (Il portait une cotte de mailles, et ses épées à sa
ceinture.) Et toi ? me demanda-t-il. Je croyais que tu devais marcher au
nord ?
— Nous descendons la rivière, expliquai-je,
pour attaquer Lundene depuis le quai.
— Puis-je venir ? demanda aussitôt Æthelflæd.
— Non.
Elle sourit.
— Mon époux sait-il ce que tu fais ?
— Il l’apprendra, ma dame.
Elle sourit de nouveau, avança et s’appuya
contre moi en s’enveloppant de ma cape noire.
— J’ai froid, expliqua-t-elle à Egbert, qui
s’étranglait de stupeur et d’indignation devant son geste.
— Nous sommes de vieux amis, dis-je à
Egbert.
— De très vieux amis, renchérit-elle en
me prenant par la taille.
Egbert ne pouvait la voir faire sous ma cape. Je
sentais ses cheveux d’or contre ma barbe et son corps frissonnant contre le
mien.
— Je considère Uhtred comme mon oncle, dit-elle
à Egbert.
— Un oncle qui va offrir une victoire à
ton époux, lui dis-je. Mais il me faut des hommes. Et Egbert refuse de me les
donner.
— Il refuse ?
— Il dit que ses hommes doivent rester te
garder.
— Donne-lui les meilleurs, ordonna-t-elle
à Egbert d’un ton désinvolte.
— Ma dame, j’ai pour ordre…
— Tu lui donneras tes meilleurs hommes !
répliqua-t-elle en se détachant de moi. Je suis fille de roi et épouse de l’ealdorman
de Mercie ! Et j’exige que tu donnes à Uhtred tes meilleurs hommes ! Sur-le-champ !
Elle avait parlé si fort que les hommes sur l’île
relevèrent la tête. Egbert parut offensé, mais resta coi. Il se redressa, l’air
buté. Pyrlig croisa mon
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