Le Chant de l'épée
guerre descendirent le fleuve et
franchirent la brèche à marée haute, quand l’eau était la moins agitée. Ils
passèrent sans encombre et je vis que le troisième arborait la bannière au
cheval piaffant de mon cousin Æthelred. Après quoi les navires s’amarrèrent aux
quais par trois. Æthelred revenait apparemment à Lundene. Au début de l’été, il
était reparti avec Æthelflæd dans son domaine de Mercie de l’Ouest, où il
luttait contre les voleurs de bétail qui pillaient les grasses terres de Mercie.
Il se rendit à son palais. Æthelflæd l’accompagnait,
car il refusait qu’elle le quitte un instant ; ce n’était pas par amour, mais
par jalousie. Je pensais qu’il allait me faire mander, mais il n’en fut rien, et
quand Gisela se rendit au palais le lendemain, elle fut éconduite. On lui déclara
que dame Æthelflæd ne se sentait pas bien.
— On n’a pas été discourtois, me dit-elle,
mais ferme.
— Peut-être est-elle malade ? suggérai-je.
— Voilà d’autant plus une raison pour
voir une amie, répondit Gisela. Il l’a mise en cage, tu ne trouves pas ?
Nous fûmes interrompus par un prêtre envoyé
par Erkenwald, qui annonça l’arrivée imminente de ce dernier. Sachant qu’il ne
parlerait pas devant elle, Gisela se rendit à la cuisine pendant que je l’accueillais.
Je n’ai jamais aimé cet homme. Nous finîmes
par nous haïr, mais il était loyal à Alfred, efficace et consciencieux. Il ne
se perdit pas en vains bavardages et me déclara qu’il proclamait un édit pour
lever la fyrd.
— Le roi a ordonné que les hommes de sa
garde équipent les navires de ton cousin.
— Et moi ?
— Tu resteras ici, répliqua-t-il. Tout
comme moi.
— Et la fyrd ?
— Elle remplacera la fyrd et défendra la
cité.
— À cause de Hrofeceaster ?
— Le roi est décidé à châtier les païens,
mais pendant qu’il accomplira l’œuvre de Dieu à Hrofeceaster, d’autres païens
pourraient attaquer Lundene. Nous resterons pour les en empêcher.
Nul païen n’attaqua Lundene et je restai dans
la ville pendant que se déroulait à Hrofeceaster une bataille qui devint
curieusement fameuse. On vient souvent me voir aujourd’hui pour me questionner
sur Alfred, car je suis l’un des rares encore vivants à l’avoir connu. Ce sont
tous des clercs, bien sûr, qui veulent que je leur dise sa piété, dont je
prétends ne rien savoir, mais certains, rares, m’interrogent sur ses guerres. Ils
connaissent l’exil dans les marais et la victoire d’Ethandun, mais ils veulent
connaître Hrofeceaster. C’est étrange. Alfred remporta maintes victoires sur
ses ennemis et Hrofeceaster fut sans conteste l’une d’elles, mais pas le grand
triomphe que chacun croit aujourd’hui.
Ce fut bien sûr une victoire, mais elle aurait
dû être immense. Il y avait là occasion d’anéantir toute une flotte de Vikings
et de rougir la Medwæg de leur sang, mais elle ne fut point saisie. Alfred
pensait que les défenses de Hrofeceaster retiendraient l’envahisseur pendant qu’il
formait sa cavalerie. Il avait les hommes de sa garde royale, auxquels il
ajouta les gardes de tous les ealdormen entre Wintanceaster et Hrofeceaster, et
tous se rassemblèrent à la Mæides Stana, au sud de Hrofeceaster.
Alfred avait agi avec finesse et diligence. La
ville avait repoussé deux attaques danes, et à présent les hommes de Gunnkel
étaient menacés non seulement par la garnison, mais par plus d’un millier des
meilleurs guerriers de Wessex. Se voyant perdu, Gunnkel envoya un messager à
Alfred, qui accepta de parlementer. Comme il attendait l’arrivée des navires d’Æthelred
à l’embouchure de la Medwæg afin de prendre le Viking au piège, il fit durer
les négociations. Et lorsque Gunnkel comprit qu’Alfred ne le paierait point, que
ces négociations étaient une ruse et que le roi avait l’intention de se battre,
il s’enfuit. À minuit, après deux jours de vaines discussions, les envahisseurs
quittèrent leur camp en laissant les feux allumés pour faire croire à leur
présence, puis s’embarquèrent et rejoignirent la Temse au jusant. Ainsi se
termina le siège de Hrofeceaster : une grande victoire puisqu’une armée
viking avait été chassée de Wessex, mais les eaux de la Medwæg ne furent point
rougies de sang. Gunnkel était vivant et les navires venus de Beamfleot y
retournèrent, accompagnés de quelques-uns des siens, qui renforcèrent de
nouveaux
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