Le Chant de l'épée
d’attaquants armés et prêts au combat avaient hésité lorsque
les deux navires s’étaient entrechoqués. Ils auraient pu tenter de contrer mes
hommes qui avaient déjà commencé à taillader leur équipage, mais leur chef leur
cria de sauter à notre bord. Il espérait les prendre à revers ; c’était
assez astucieux, mais nous avions encore assez d’hommes à bord pour les
repousser.
— Pas de quartier ! hurlai-je.
D’un coup de bouclier, je renversai un Dane
qui tentait de sauter sur ma plate-forme. Alors qu’il tombait entre les navires,
aussitôt entraîné au fond par le poids de sa maille, je bondis en hurlant sur
les autres Vikings qui s’en prenaient à mes hommes du dernier banc de nage.
Un grand gaillard se retourna. Il portait un
casque à ailes d’aigle et une belle cotte, maints bracelets et un bouclier
frappé d’un aigle. Avec sa barbe blonde et ses yeux bruns, sa hache et son épée
déjà rougie, ce devait être un seigneur : le maître du navire. Il se
précipita sur moi, mais par la grâce de Thor le navire oscilla et dévia son
coup, et je le repoussai de mon bouclier.
Il aurait dû tomber, il trébucha seulement. Je
visai sa cheville et Souffle-de-Serpent racla du métal. Ses bottes étaient, comme
les miennes, garnies de bandes de fer. Sa hache puis son bouclier s’abattirent
sur moi et je fus projeté en arrière contre la plate-forme du timonier. Il se
jeta de nouveau sur moi, me déséquilibra d’un coup de pied et je chutai.
Derrière lui, ses hommes tombaient, mais il
avait le temps de m’occire avant de succomber à son tour.
— Je suis Olaf Serre-d’Aigle, me dit-il. Et
je te retrouverai au banquet d’Odin.
— Et moi Uhtred de Bebbanburg, répondis-je
alors qu’il levait sa hache.
Soudain, il poussa un cri.
Il était plus lourd que moi et m’avait acculé,
mais, sachant qu’il continuerait de me frapper et que je ne pourrais le
repousser, j’étais tombé exprès. Une épée ne pouvait entailler sa cotte de
mailles ni son casque, mais je pointai Souffle-de-Serpent vers le haut, par-dessous
la cotte pour atteindre son entrejambe sans défense, et je l’enfonçai tout en
me relevant. Le sang ruissela sur le pont entre nous. Il me fixa, les yeux
écarquillés, laissa échapper sa hache et tomba à la renverse alors que je me
relevais.
Cela semble un combat facile, mais il n’en fut
rien. Certes, j’étais tombé exprès, mais Olaf m’avait poussé et au lieu de
résister j’avais cédé. Parfois, dans ma vieillesse, je me réveille en
frissonnant la nuit quand je me rappelle les occasions où j’ai frôlé la mort. Ce
fut l’une d’elles. Peut-être ma mémoire me trahit-elle… L’âge voile les
souvenirs. Ce fut un combat parmi tant d’autres, mais Olaf Serre-d’Aigle me
réveille parfois dans la nuit, et alors que je reste à écouter la mer déferler
sur le sable je sais qu’il m’attend au banquet d’Odin et qu’il me demandera si
je l’ai tué par un coup de chance ou si j’avais prévu le coup fatal. Il se
souviendra aussi que, d’un coup de pied, j’avais poussé vers ses doigts le
manche de sa hache pour qu’il puisse mourir l’arme à la main.
J’ai hâte de le retrouver.
Le temps qu’Olaf
meure, nous nous étions emparés de son navire et avions massacré l’équipage. Finan
avait mené l’assaut sur l’ Aigle-des-Mers, dont j’avais lu le nom gravé
en runes sur la proue.
— Ce n’était pas un vrai combat, lâcha
Finan, déçu.
— Je te l’avais dit.
Il désigna la cale ensanglantée où cinq hommes
étaient accroupis en tremblant.
— Ce sont des Saxons, seigneur, expliqua-t-il
devant mon regard interrogateur.
Ces cinq pêcheurs me déclarèrent qu’ils
habitaient un lieu du nom de Fughelness. Je les compris à peine. Ils parlaient
anglois, mais d’une façon si étrange qu’on aurait dit une langue étrangère. Je
compris cependant que Fughelness était une île désolée, un désert de marais où
ne demeuraient que des oiseaux et quelques malheureux qui vivaient de la pêche.
Olaf avait capturé onze d’entre eux la semaine précédente et les avait mis au
banc de nage. Six étaient morts durant le combat, mais ceux-là étaient parvenus
à convaincre mes hommes qu’ils étaient prisonniers et non ennemis.
Nous dépouillâmes les vaincus de toutes leurs
possessions et entassâmes mailles, armes, bracelets et vêtements au pied du mât
de l’ Aigle-des-Mers pour nous les partager plus
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