Le Chant des sorcières tome 1
Cent convives. Petite ou grande noblesse, cousins, voisins, amis. En si peu de temps, Jacques n'avait pu joindre que les plus proches en distance. Ils lui suffisaient bien. Elle ne voulait pas les dévisager. Pas encore. S'attarder sur leur sourire, c'était perdre un peu de cette image qu'elle voulait fixer en elle à jamais : le regard de son amant baigné de lumière, sa main tendue vers elle, sa prestance que rehaussaient subtilement ses vêtements de noce dont le pourpre, le sable et l'or répondaient aux couleurs de sa robe.
Oui, cela seul. L'amour, tout cet amour immense qu'il lui donnait.
— Elle est magnifique, ne put s'empêcher de s'extasier Algonde, qui se tenait en retrait, du côté des domestiques, près de Mathieu qui l'avait rejointe.
— Bien moins que toi. Sang Dieu, cette robe te met tant en valeur que je te l'arracherais bien, souffla-t-il à son oreille tout en se tortillant, avec l'espoir insensé de donner un peu d'aisance à ce vit qui, dans son enthousiasme, tenait plus de place qu'il ne fallait.
Au milieu de tout ce monde, il n'allait quand même pas glisser sa main dans ses braies pour le repositionner ! Tout à son embarras que son œil dans le corsage d'Algonde ne risquait pas de calmer, il ne remarqua pas que cette dernière avait détourné la tête de l'autel qu'avait gagné Sidonie. Ce n'était pas vers la future dame de Sassenage qu'allait l'admiration d'Algonde, mais vers Philippine qui éclipsait sa cousine par son éclatante beauté. Malgré le trouble qu'elle en ressentait, Algonde réprima un bâillement. Cette nuit encore, elle n'avait dormi que quelques heures.
Elle se demanda un instant comment elle pouvait tenir debout avec toute cette fatigue accumulée, sans compter cette grossesse. Grosseur. À la vérité, elle ne savait trop de quel nom baptiser cette chose, qui, bien qu'imperceptible encore sous son corset, se développait en elle. Elle en chassa l'idée. Revint au cœur de sa réflexion. La tension nerveuse. Voilà ce qui lui donnait le courage de faire face. Combien de temps tiendrait-elle ? A peine s'était-elle assoupie la veille que des images l'avaient assaillie, violentes, déconcertantes. Elle s'était vue dans les bras d'Enguerrand, charnelle et passionnée. L'instant d'après, dissimulée par le tronc d'un arbre, elle voyait Mathieu, l'œil droit barré d'une vilaine cicatrice, dirigeant une attaque de bandits et poignardant froidement un marchand. Algonde s'était éveillée en sursaut, fébrile, croyant à un méchant rêve, mais cela avait continué à emplir la nuit autour d'elle, une scène chassant l'autre, comme si elle y assistait ou la vivait véritablement. Là, c'était un inconnu à la peau sombre qui se couchait sur Philippine, puis un enfançon velu aux yeux d'un bleu si pur que l'azur lui-même semblait s'y refléter. Une rivière de sang s'était ensuite mise à bouillonner autour du garçonnet, jusqu'à l'emporter. Des nuages noirs lui avaient succédé, bizarres et grimaçants. Ils talonnaient le galop d'un cheval sur lequel une jouvencelle armée d'un carquois filait en direction de montagnes étranges, comme des cônes étagés et plats en leur sommet. Un homme vêtu d'une tunique blanche attendait à leur pied, le front ceint d'une couronne d'or. Et Mathieu encore, qui se battait avec Enguerrand cette fois, mais pas comme autrefois, non. Leurs épées s'entrechoquaient sous un ciel métallique et ils suaient l'un et l'autre de leurs haines respectives. Un homme leur avait succédé aux portes d'un castel. Luirieux, le lieutenant de Philibert de Montoison, tirait en arrière les cheveux de deux femmes agenouillées, les mains liées dans le dos. Philippine et une autre. Si Algonde ne l'avait sue morte, elle aurait pu jurer qu'il s'agissait de sa mère, Jeanne de Commiers, dont le portrait ornait toujours la cheminée du logis de Leurs Seigneuries. Face à eux, un tertre, emprisonné dans une lueur bleutée. Puis plus rien, le trou noir, comme si tout cela avait été englouti, balayé par les ténèbres. Comme si le diable lui-même avait soudain interdit qu'elle y ait accès.
Elle ne savait plus que penser.
Pour l'heure, à ses côtés, Mathieu, indifférent à la foule, lui chuchotait des « je t'aime » à l'oreille. Comme elle aurait voulu lui prendre la main et courir sous le couvert des bois pour le sentir en elle, se rassurer de ses baisers, de son étreinte, se dire que ces visions n'étaient que la déformation
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