Le Chant des sorcières tome 1
toi ? cracha-t-il comme une injure.
Elle ne se laissa pas intimider.
— Tout comme la tienne. Mon père est un haut dignitaire. Il adore la poésie persane. Mes précepteurs me l'ont enseignée.
— Tu n'as aucun intérêt à trahir ton époux. Qu'attends-tu en retour ?
— La liberté.
— S'il s'évade, tu seras libre de même.
— Mais sans protection. Je veux quitter la France. Je t'aide, tu m'aides.
— Soit, décida Philibert de Montoison. Tu vas m'accompagner chez l'apothicaire et y resteras le temps que je fasse mon rapport à Guy de Blanchefort. Il jugera de la conduite à tenir. Ensuite nous ferons ce que Djem attend de nous. Gare à toi si tu m'as menti…
Ils sortirent aussi discrètement qu'ils étaient entrés.
Lorsqu'ils regagnèrent quelques longues minutes plus tard les appartements du prince, ils le trouvèrent en grande partie d'échecs.
— Te sens-tu mieux ? demanda celui-ci à son épouse, en levant les yeux de son échiquier.
Mounia hocha la tête avant de reprendre sa place parmi les autres femmes, qui, silencieusement, pour ne pas perturber la concentration de leur maître, jouaient aux osselets. Philibert de Montoison accepta les dés que lui proposa Anwar. Il s'installa en tailleur entre lui et Houchang et les fit rouler sur le tapis. Ils s'arrêtèrent sur un six.
— La chance te sourit, le félicita ce dernier à voix basse, en les ramassant.
— C'est le cas, souvent, avec les audacieux, répliqua Philibert de Montoison avec sur les lèvres le même sourire mielleux.
La partie entre eux, la vraie, venait de commencer.
30
Djem s'était couché tôt ainsi qu'il l'avait décidé. Revêtu des vêtements du cadilecher que lui avait discrètement rapportés Nassouh en fin d'après-midi, il guettait chaque mouvement, chaque semblant de bruit alentour de sa couche. Ses mains moites trahissaient son appréhension tout autant que son excitation. Ce soir, plus de propos fleuris, de mielleuses feintes. Il était las de jouer les sots, lui dont l'intelligence et la vivacité d'esprit étaient louées dans tout l'Empire. Il avait bien assez diverti ces rats. S'il était pris, il leur cracherait au visage. Il avait encore de la ressource.
On bougea derrière la tenture. Le cadilecher parut, la main sur le cœur.
— Mon prince…
Djem repoussa les draps. L'instant d'après il sortait dans le couloir, des fourmillements dans les doigts au contact du cimeterre à sa ceinture. Pour le cas où Allah regarderait ailleurs cette nuit, et qu'il soit repris, il avait laissé sous son matelas le poignard que lui avait offert sa mère pour son dixième anniversaire. S'il répugnait à s'en séparer, la prudence le lui avait dicté. Ne jamais mettre un pied devant sans assurer ses arrières, clamait son père. Il avait été à bonne école.
— Là!
Philibert de Montoison tendit un doigt ganté en direction des ombres qui se faufilaient dos au mur, dans celle plus noire encore du donjon. Sa voix n'avait été qu'un souffle à l'intention de Guy de Blanchefort à ses côtés. Il lui sembla pourtant que les fugitifs s'étaient immobilisés pour sonder l'obscurité. Sans la traîtrise de Mounia, l'évasion aurait pu réussir. Voilé de nuages, le maigre quartier de lune amenait à peine assez de clarté pour discerner un mouvement.
— Attendons, décida Guy de Blanchefort qui ne voulait plus continuer cette sordide mascarade.
Prendre Djem sur le fait était le meilleur des prétextes pour l'accomplissement de ses projets. Il porta le majeur et l'index à sa bouche. Une trille semblable à celle d'un oiseau monta dans l'air lourd, puis une autre encore et une troisième. Mélodie anodine en apparence, mais selon un code défini à l'avance pour signifier à ses soldats de se tenir prêts.
La main de Nassouh se posa sur le bras de Djem. Comme si les autres l'avaient perçue aussi, ils s'immobilisèrent à l'angle de la bâtisse. Là-bas, sous les arbres, près de la porte nord que Houchang s'était chargé de déverrouiller, les chevaux les attendaient. S'ils parvenaient à traverser l'espace à découvert qui les en séparait, ils auraient une chance.
— Sens-tu ? demanda-t-il.
Djem hocha la tête. La sueur. Le vent d'orage la leur avait apportée au milieu des parfums de la terre. Cette odeur-là, celle d'hommes avant la bataille, ils la connaissaient trop, tous, pour s'y tromper.
— Nous sommes joués, crissa Houchang en arrachant son cimeterre de sa
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