Le Chant des sorcières tome 1
cimeterre.
Contre toute attente, Guy de Blanchefort abaissa son branc et desserra les poings. L'épée tomba aux pieds du Turc.
— Prenez ma vie, mais gardez la vôtre, prince. Vous avez plus de valeur que je n'en ai.
— Combien ? grinça Djem en lui plaquant la pointe de son arme sous le menton.
Guy de Blanchefort ne cilla pas davantage qu'il n'esquissa un geste pour s'en détourner.
— Quarante mille ducats.
— Par jour ?
— Et la libre circulation en Méditerranée.
— Mon frère est bien plus généreux que je ne le croyais !
— Notre mission est autant de le garder de vous que de vous garder de lui. Il n'hésitera pas à vous faire assassiner si vous redevenez une menace. Il s'y emploie déjà malgré nos accords passés. J'ai fait serment de vous protéger. Je le tiendrai.
La colère de Djem retomba d'un bloc. Le ton de la voix n'était pas contrefait cette fois. L'attitude pas davantage. Il saisissait soudain à quel point lui et Guy de Blanchefort se ressemblaient. L'orgueil avant tout. L'honneur surtout. Respect. Mutuel.
— Un lion n'est pas fait pour la cage, grand prieur. Plus de mensonges.
— Plus de coups fourrés ?
— Si je vous en fais la promesse, me laisserez-vous libre d'aller et venir à ma guise, de recevoir les hommages de nos voisins, de chasser, chevaucher, festoyer?
— Flanqué de Philibert de Montoison, vous pourrez vivre, oui. Avec tous les honneurs dus à votre rang. Mais comme un exilé.
— À jamais je suppose.
— À moins que mes ordres ne changent, j'en ai bien peur en effet.
Autour d'eux, le combat faisait rage. Houchang riait à gorge déployée, déchaînant cette tension qu'il avait trop longtemps contenue dans une fureur démoniaque. Nul ne lui résistait et son hilarité couvrait presque le fracas des armes. Sans les voir, Djem reconnaissait chaque coup que ses compagnons portaient. La pointe de son cimeterre fit perler une goutte de sang à la glotte du grand prieur.
— Je pourrais vous tuer.
Guy de Blanchefort resta de marbre.
— Un autre prendrait ma place. Ils sont plus de cent à pouvoir y prétendre. Moins complaisants peut-être.
— Je n'ai pas souvenir que vous l'ayez été, grinça Djem.
— M'avez-vous laissé d'autres choix que ceux que je vous ai imposés ? Qu'auriez-vous fait à ma place ?
La même chose. Sans hésiter, pensa Djem. Il retira sa lame. La lune découverte un instant lui révéla le visage de son adversaire. L'œil était vif. Franc.
— Je suis votre allié, Djem. J'aimerais que, malgré les circonstances, vous me le concédiez.
Pour toute réponse, le prince lui tourna le dos pour s'imprégner un instant encore de l'image de ce combat que ses compagnons menaient, invincibles, parmi des monceaux de cadavres ensanglantés. Le dernier sans doute de sa captivité. Puis il lança deux coups de sifflet, comme on donne du poignard. Brefs, stridents. Ils fendirent la nuit et le vacarme.
Le bruit du métal entrechoqué cessa sur l'instant. Seul Houchang battit l'air une fois encore de son bras vengeur. Une tête, une de plus, roula à terre, grimaçante. Le corps du soldat tressauta stupidement avant de s'effondrer. Philibert de Montoison fondit sur le géant, écumant de colère. Avant que quiconque ait eu le temps de s'interposer, Houchang parait la frappe meurtrière. À la croisée de leurs lames, les deux hommes s'affrontèrent d'un même regard de haine, si proches l'un de l'autre que leur souffle mêlé embua l'acier.
— Bas les armes, Montoison, aboya Guy de Blanchefort.
Les deux hommes restèrent ainsi soudés quelques secondes encore, haineux, avant que le chevalier n'obéisse et ne recule, sans pour autant baisser sa garde.
— Essaie encore et c'est en morceaux pour les chiens que je te découperai, lui jeta Houchang avant de cracher dans sa direction.
— Nous n'en resterons pas là, tu peux y compter, répliqua Philibert de Montoison avant de tourner les talons pour gagner la terrasse.
Ses pas nerveux crissèrent sur le sol, répondant aux gémissements des blessés.
— Donnez-moi votre cimeterre, ordonna Guy de Blanchefort en tendant la main vers Djem.
Ce dernier eut un mouvement de recul.
— C'est sans appel, insista Guy de Blanchefort. Je vous désarme, vous, vos amis et vos janissaires.
— Que me restera-t-il pour me protéger ?
— La confiance que vous devrez m'accorder.
— Soit. Mais j'exige une faveur en retour, se résigna-t-il en lui remettant
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