Le Chant des sorcières tome 1
leurs. Diriger cette maisonnée à la manière des lois de la chevalerie d'antan. Voilà ce que le bon sens lui dictait. Ne pas laisser passer sa chance.
Au troisième matin pourtant, il avait fait seller son cheval. Le plafond était si bas, les nuages si menaçants que l'animal avait failli le désarçonner en se cabrant d'énervement.
Reste, lui criait son cœur. Pars. Sans te retourner, insistait cette folie, cette envie d'ailleurs qui depuis trop longtemps lui rongeait le sang. Car il le savait bien en vérité. C'était Algonde qui en était la cause. Algonde qu'il avait laissée à Mathieu autrefois et tout autant difficilement aujourd'hui. Malgré sa beauté et sa noblesse, Philippine ne pouvait lui donner ce que la bécaroïlle de Sassenage lui avait offert, enfant. Un baiser interdit qu'il n'avait jamais oublié.
Il avait talonné sa monture, indifférent aux gouttes sur son mantel de voyage. L'épée à son baudrier lui battait la cuisse droite, le bouclier à sa selle, la gauche. Les pieds calés dans les éperons, il s'était dressé tout en cravachant sa monture sous les éclairs qui venaient à sa rencontre. Il mourrait dans le vent ou passerait le gué. Ainsi serait son destin. Ainsi avait-il toujours été.
32
Était-elle amoureuse ? La question lui revenait sans cesse et Philippine avait beau la tourner et la retourner en tous sens, elle se sentait incapable d'y répondre. De l'émoi. De l'excitation. Cela oui, elle en était sûre. Elle en avait eu les symptômes caractéristiques. Mains qui tremblaient, sueurs froides, picotements dans le bas-ventre, battements du cœur désordonnés à chacune des œillades d'Enguerrand. Mais de l'amour ? Ça !
Elle n'avait cessé de penser à lui tout au long de ces journées pluvieuses. Ce n'était pas difficile, Sidonie prenait tant plaisir à commenter ses épousailles qu'il revenait à chaque coin de phrase, comme le refrain d'une comptine. Enguerrand, Enguerrand, Enguerrand, chantait un rire, une anecdote, un geste. Il était là, entre elles, sans répit. Tenant ses sens exacerbés.
Huit jours. Pouvait-on considérer que c'était une durée suffisante pour juger de la valeur d'un attachement ?
Le soleil était revenu.
Sidonie avait révélé sa grossesse à Philippine et s'était excusée de ne pas battre la campagne à cheval comme cette dernière en avait envie. À son âge, cela aurait été une folie. Porter cet enfant en était déjà une. Elle avait pu en juger par cette fatigue qui lui plombait inhabituellement les épaules depuis les festivités. Pour une fois, Sidonie s'était rangée à l'avis de son époux et de la sorcière qui l'avait visitée. Elle serait raisonnable. Elle s'accordait un véritable repos avant de regagner la Bâtie pour y attendre l'accouchement. Le voyage serait bien suffisant pour sa peine. Elle ne voulait en risquer d'autres.
À la Bâtie, les travaux seraient achevés sous quinzaine, avait affirmé Jacques qui avait, quant à lui, entrepris de visiter ses vassaux ou d'aller à la chasse. Ce n'était pas la place d'une jouvencelle. À la vérité, Philippine n'était pas dupe et se doutait bien qu'il ne tenait pas à laisser Sidonie trop souvent seule… avec Marthe… et qu'il comptait sur elle pour lui tenir compagnie. Or, privée de ces longues chevauchées durant son séjour à l'abbaye, et tout autant de liberté, Philippine ne rêvait que du vent dans ses cheveux et du flanc nerveux de la bête contre sa cuisse. Un reste sans doute de cette sensualité que les balades avec Enguerrand avaient éveillée en elle. Peut-être ce contact était-il aussi un moyen de balayer ses doutes. De faire la part des choses, comme avec le jeune convers à l'abbaye. Désir interdit ou amour impossible ? Les deux la séduisaient. Enguerrand lui manquait-il vraiment ou n'avait-il été là que pour la guérir définitivement de sa culpabilité envers Philibert de Montoison et Laurent de Beaumont ?
Il fallait qu'elle bouge, qu'elle vive, qu'elle sache. Qu'elle se découvre telle qu'elle était en vérité, sans faux-semblants, sans personne pour lui imposer la notion de bien ou de mal. Les deux premiers jours, elle s'était fait escorter d'un des soldats. Certes, elle avait éprouvé ce plaisir sauvage qu'elle recherchait, et l'épuisement qui en avait découlé, mais cela n'avait amené aucune réponse. Tout au contraire, une question supplémentaire. Que faisait Algonde pendant son absence ? Elle la devinait qui
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