Le Chant des sorcières tome 1
comprendre à quel point ma mère avait pu chérir notre père. Nous n'avions pas le droit de nous moquer des sentiments qu'elle avait éprouvés, du pardon qu'elle lui avait offert et que nous ne voulions accepter. Égoïstes, mes sœurs et moi ? Oui, nous l'avons été, sans le savoir, sans le mesurer. En Avalon, personne n'a eu l'idée de nous protéger contre cette partie humaine en nous. La colère, la rancœur, la vengeance. Nous les avons reçues en héritage, de plein fouet, sans y avoir été préparées. Tu ne peux imaginer, Algonde, combien j'en ai voulu à ma mère de nous avoir punies de cette manière, et tout autant pardonné lorsque j'ai rencontré Raymondin. A cet instant, j'ai compris ce qu'elle avait voulu nous enseigner. J'ai compris sa souffrance et son bonheur passé. J'ai voulu délivrer notre père, mais il était mort déjà. J'ai approché une prêtresse en pays celte, je l'ai suppliée de tout expliquer à Présine. Mes remords, ma repentance. C'est alors que j'ai appris pour la prophétie. Quant à ma mère, elle avait disparu. Nul en Avalon ne savait où elle se trouvait. Tout ce que la prêtresse pouvait faire, c'était de relayer mon message dans l'espoir qu'il lui parvienne un jour. J'ai attendu, espéré que cela arrive, confortée dans l'idée que l'amour de mon époux me mettait à l'abri de ce que ma mère avait vécu avec le sien. J'ai donné huit enfants à Raymondin, j'ai bâti nombre de châteaux en des endroits divers, dont ceux de Lusignan et de Sassenage, tendant l'oreille aux rumeurs dans l'espoir de me rapprocher d'elle. Hélas ! la suite, tu la connais. La détresse de Raymondin lorsqu'un de nos fils a mis le feu à l'abbaye de Maillezais, qui hébergeait son frère. Son regard fou, de douleur, d'incompréhension, qui m'accusait d'avoir perverti sa race. Je m'y suis vue monstrueuse, comme sans doute mère l'avait été pour l'homme qu'elle avait aimé. J'ai plongé dans les Cuves du Furon. Les siècles ont passé. La mort de Mélior m'a prouvé que nous possédions toutes un talon d'Achille, mais je n'ai pas su trouver le mien. Sa descendance comme la mienne s'est abâtardie. J'ai cru que la prophétesse s'était trompée. Je m'étais presque résignée, jusqu'à ce que je te repêche dans le Furon.
— Pourquoi me racontez-vous tout cela ? s'étonna Algonde, troublée par l'éloquence de cette confession.
— Parce que j'ai besoin de toi, Algonde. Ton sacrifice, c'est ma liberté.
Algonde s'assit sur la margelle et ramena ses genoux contre sa poitrine. Près d'elle, la source chaude bouillait dans une cuvette, éructant des bulles d'air à la surface. Son malaise s'était transformé. Elle avait beau être touchée par la triste histoire de la fée, la sienne lui paraissait plus injuste encore.
— Vous m'avez demandé d'éconduire Mathieu pour mieux vous servir. Cela n'est-il pas suffisant à ma peine ? Vous savez ce qu'il m'en coûte. Je ne veux pas du baron. Je ne veux pas porter sa descendance. Qu'en ferais-je ?
— Je te l'ai dit. L'antidote au venin de la vouivre. Cet enfançon m'est précieux. Tu dois vivre, Algonde. Vivre pour me l'amener. Vivre pour nous délivrer. Sans le pouvoir des trois, c'est impossible, tu le sais.
Algonde se durcit. Quelque chose d'obscur venait de voiler les traits trop doucereux de la fée. Elle s'emporta, certaine qu'on voulait la duper.
— Quel avantage en aurais-je ? Et si je préférais mourir que de subir ce destin ? Je suis la descendante de Mélior certes, mais cela ne me donne aucune obligation. Aucune responsabilité. Votre sœur vous a lâchement abandonnée et je devrais, moi, prendre sa place ? Vous mentez, Mélusine. Votre talon d'Achille, c'est votre orgueil. Vous auriez pu tout comme Mélior vous guérir de votre immortalité en offrant Raymondin à votre créature, j'en suis sûre. La vérité, c'est que vous êtes toujours aussi égoïste et que vous rêvez de redevenir celle que vous étiez. Seulement voilà. Je ne veux pas me passer de l'homme que j'aime. Je ne veux pas expier un crime que je n'ai pas commis sous le prétexte que je ne suis pour vous qu'une bâtarde et un moyen d'y arriver !
Un long silence les plomba toutes deux, l'écho de sa voix retombé. Visiblement, Mélusine n'avait pas envisagé sa rébellion. Sa voix se fit plus sèche, même si le timbre restait enchanteur.
— Tu te trompes sur moi, sur mes intentions, mais je comprends ta méfiance et la respecte. Tu feras comme tu
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