Le Chant des sorcières tome 1
l'entendras. Je ne peux l'empêcher. Il faut pourtant que tu saches, si tu choisis de mourir, que ce sera dans des souffrances effroyables.
Algonde haussa les épaules. Son regard toisa celui de Mélusine avec plus de détermination encore.
— Pires que les caresses du baron, insista la fée.
Algonde enserra ses genoux de ses bras et y appuya son menton.
— Je ne veux pas porter son enfant.
— Qui parle de cela, Algonde ?
— Toute innocente que je suis, je sais très bien ce que veut dire « se faire engrosser » !
— Une nuit de pleine lune, alors que tu n'es plus tout à fait humaine…
— À plus forte raison, s'obstina Algonde, qui refusa d'imaginer de quelle chose elle pourrait enfanter.
— Très bien, décida Mélusine. Je pensais qu'il valait mieux ne rien te dire encore, mais, puisque tu m'y forces, autant que tu décides en connaissance de cause. Si tu acceptes de rejoindre le baron en sa couche, tu garderas sa semence six mois seulement.
— Seulement ! Nous n'avons visiblement pas la même notion du temps…
— Au terme, tu perdras ce qui ressemblera à un œuf, poursuivit Mélusine, refusant d'entendre. Il te faudra le faire sécher trois lunes de plus avant de le réduire en poudre. Tu devras l'ingérer pour que les effets du poison demeurent permanents en toi sans te condamner, mais tu prendras soin d'en garder la valeur d'un ongle que tu devras glisser dans la bouche du nourrisson avant même qu'il soit mis au sein. C'est essentiel pour le protéger. Amène-moi ce nouveau-né, Algonde, c'est lui la clef de la prophétie. Lui qui concentrera le pouvoir des trois. Amène-le-moi et ton rôle dès lors sera achevé, je te le promets.
Tu seras libre. Libre d'aimer Mathieu, de l'épouser et de lui faire autant d'enfants qu'il te plaira.
— Des enfants-serpents ? se moqua Algonde, cynique.
Mélusine retint un soupir d'agacement. Cette jouvencelle avait décidément un avis sur tout. Trop pertinent. L'amener à ses fins serait bien moins facile qu'il n'y paraissait. Elle allait devoir jouer finement.
— Tu n'es pas une bâtarde, Algonde. Loin s'en faut. Bien que mortelle, du sang féerique coule en tes veines, en plus grande quantité que toutes celles qui t'ont précédée. Notre ressemblance en est la preuve. Libre à toi d'utiliser ou non tes pouvoirs, ceux que tu as hérités de Mélior et, à présent, les miens, que t'a offerts la morsure de la vouivre. Des enfants que j'ai eus avec Raymondin, aucun ne portait des écailles. Ta descendance n'en sera pas davantage affectée.
Algonde resta sur la défensive :
— Ma mère sait-elle pour la vouivre, le baron, et tout le reste ?
— Non. Je ne l'ai même jamais rencontrée.
— Vous m'avez dit que je devais écarter Mathieu de mon chemin si je ne voulais pas qu'il soit condamné…
— Et je le crois encore. Tant, du moins, que la prophétie ne sera pas accomplie.
— Pourquoi ?
Mélusine retint un rictus de satisfaction. Elle avait vu juste. La peur de perdre son puceau saurait faire entendre raison à cette impertinente.
— Les Harpies ont été libérées.
La surprise chassa un instant la colère d'Algonde.
— Ma mère les a évoquées, mais j'ignore ce que c'est.
— À l'origine, il s'agissait de trois créatures immortelles mi-femmes, mi-oiseaux, repoussantes de laideur, aussi vicieuses que maléfiques, tenues en captivité en Avalon après avoir été chassées de Grèce. Lorsque la prophétesse eut révélé à la grande prêtresse Morgane que l'avènement d'un enfant de notre sang sur le trône des Anciens nous délivrerait de la malédiction, elle n'a pu le supporter. Jusqu'à la fin de ses jours, elle tenta de se donner une héritière pour le lui transmettre. Sans succès. Tous ses enfants furent mort-nés. Pire, à l'exception d'Arthur de Bretagne dont elle était la demi-sœur, aucun roi n'accepta l'alliance qu'elle leur proposa, préférant s'accommoder des prêtres chrétiens plutôt que d'une influence druidique. Devenue une vieille femme, la grande prêtresse décida de se venger de tous. Des hommes qui l'avaient bafouée. De Merlin qui avait refusé ses avances. De ma mère. De nous. Elle passa un pacte magique avec les Harpies. La mort de l'enfant de la prophétie contre le royaume des Hautes Terres, dont Avalon n'était qu'une partie. Pour ce faire, elle les dota d'une apparence humaine, leur conseilla de s'attacher au service de notre lignée et les délivra avant de se
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