Le Chant des sorcières tome 1
lorsqu'il naîtra, c'est une certitude. Vous êtes liés l'un à l'autre et lui à moi. C'est la seule chose dont tu doives te soucier. Le reste ne te concerne pas. Je suis navrée, Algonde, mais je n'avais d'autre choix que d'obliger le baron à rompre les scellés. Ce passage dans mon ancienne chambre est le seul qui pouvait te permettre de me rejoindre. Cette vouivre est la gardienne de la crypte. Elle protège mon secret. Sa morsure est mortelle pour qui n'est pas immunisé. Ce qui nous amène à ceci, ajouta-t-elle en désignant Jacques de Sassenage qui levait vers la lumière une pierre pour mieux l'examiner.
Algonde fronça les sourcils. Le front du baron s'était plissé et sa bouche se tordait en un rictus étrange qu'on eût dit empreint de curiosité sceptique.
— Qu'est-ce que c'est ?
— De quoi nourrir ses doutes et l'amener à satisfaire ma volonté.
— Mais encore ? insista Algonde, qui devinait le plaisir de Mélusine à l'abreuver d'énigmes.
— Une de mes larmes cristallisées.
— Allons, maître Dreux, entendirent-elles prononcer à cet instant.
Le baron Jacques s'en retournait vers le maçon, la pierre empochée.
— Mélusine ne s'est pas montrée, en fin de compte, sembla se désoler ce dernier en sautant à bas du rocher.
— Légende, mon ami, légende… Pouvez-vous accorder une quelconque foi à l'idée d'immortalité ?
— Je m'en accommoderais bien, messire… Quoique... Vivre en ce lieu ne me tenterait guère si c'était pour l'éternité.
Un silence pesant s'installa entre Mélusine et Algonde, frigorifiée, le temps que les pas s'éteignent en remontant vers le castel. La fée le rompit d'une voix fataliste.
— En te sauvant de la noyade l'autre jour, je t'ai insufflé de quoi survivre provisoirement au venin de la vouivre. Mais il te terrassera si tu ne prépares pas l'antidote. Il n'y a qu'un seul moyen pour y parvenir. Te faire engrosser cette nuit par un de ma descendance. Jacques en l'occurrence.
Algonde sursauta. La fée était-elle sérieuse ?
— Je sais à quel point ce que je te demande est difficile, la devança Mélusine en posant une main sur son épaule.
Loin de la réchauffer, ce contact ne fit qu'aggraver son malaise. Algonde blêmit tant que Mélusine en prit soudain toute la mesure.
— Idiote que je suis, maugréa-t-elle contre elle-même. Toutes ces années en ce lieu m'ont fait oublier que tu n'es pas encore adaptée. Viens, dit-elle en lui tendant la main.
Algonde la saisit, entre la crainte du glissement de l'eau autour de ses épaules et l'espoir d'en être bientôt délivrée. À la limite de l'évanouissement, elle se laissa de nouveau engloutir, ballotter, en proie aux mêmes sensations que précédemment, mais aggravées cette fois, par l'engourdissement qui peu à peu la gagnait. Elles émergèrent dans une salle plus étroite, emplie de vapeur. Cette fois, Mélusine n'eut pas besoin de lui couvrir la bouche ou de lui pincer le nez. Le passage d'un état à l'autre s'était fait seul. Son corps s'acclimatait. Tout comme elle avait cessé de respirer à peine sa tête immergée, elle retrouva son souffle dans cette étrange atmosphère. Mélusine la hissa sur la berge.
— Étends-toi près de la source chaude. Tu vas peu à peu te reprendre.
Algonde lui obéit. Quelques minutes passèrent dans le sifflement de ses bronches qui, entre l'eau et l'air, ne savaient plus véritablement comment fonctionner. Ses dents claquaient par intermittence et des frissons la parcouraient. Accoudée à un rocher qui offrait une margelle plate, Mélusine la fixait, attentive et coupable de sa négligence. Lorsqu'elle la vit s'apaiser, elle poussa un soupir de soulagement. Algonde tourna alors la tête vers elle. La brume chaude qui les encerclait rendait le faciès de Mélusine plus désagréable encore. Leurs regards se fondirent. Celui de la fée n'était que douceur. Algonde en fut touchée. Un instant seulement. Car lui revint en mémoire comme une gifle le regard concupiscent du baron sur elle.
La peur la submergea plus sûrement que son bain forcé.
— Je ne veux pas, je ne peux pas, dit-elle simplement.
Mélusine fronça les sourcils. Elle devait profiter de ce semblant de faiblesse pour convaincre la jouvencelle de lui faire confiance. Forcer le verbe. Ne pas lui laisser le temps de penser…
— Tant de choses nous semblent insurmontables, murmura-t-elle d'une voix morte. Il m'a fallu goûter à l'amour d'un homme pour
Weitere Kostenlose Bücher