Le Chant des sorcières tome 1
ruisseau au milieu des rochers. Au centre, au-dessus d'un feu cerné de pierres, était embroché par l'épée un lapin qui, achevant de rôtir, répandait un délicieux fumet. La faim de Philibert s'en trouva décuplée.
Son ami Luirieux, qui commandait l'escorte en son absence, se précipita à sa rencontre pour l'accueillir.
Les deux hommes s'étreignirent en une accolade amicale, heureux de se retrouver.
— Te voilà bien méchante mine, mon ami. De toute évidence, les choses se sont mal passées, s'inquiéta Luirieux en avisant le crâne de Philibert de Montoison que le coup de lame avait rasé.
— Plus encore que tu ne le penses, grimaça celui-ci. Le temps presse. Il faut partir sur-le-champ.
— Rien ne saurait davantage nous plaire, assura le lieutenant en se tournant vers les autres pour le leur annoncer.
Il ne leur fallut que quelques minutes pour s'apprêter tandis que Philibert de Montoison résumait la situation à son compère. Le lapin fut découpé et chacun en prit une part, qu'il désossa à pleines dents en traversant le bois.
À l'orée, ils se mirent en selle et gagnèrent la croisée des chemins à moins d'une lieue de là.
Philibert se tourna alors vers Garnier.
— Va, dit-il.
— Ce ne sera pas long, messire. Avant la tombée de la nuit, mon épée se couvrira du sang de ce morveux. Je vous retrouverai à la Bâtie.
Garnier tourna bride en direction d'Amboise, où logeait le dauphin Charles. Philibert de Montoison le regarda filer, un sourire satisfait sur ses lèvres fines. Il aurait aimé se charger lui-même de son rival, mais il n'avait que trop tardé.
Il talonna sa monture, rameutant les siens dans son sillage. Cette fois, c'était certain, sa mission accomplie, Philippine lui appartiendrait.
17
À Sassenage, l'aube pointait, rosissant de ses pastels la petite fenêtre du donjon vers laquelle, depuis sa couche, Algonde avait tourné la tête. Gersende venait de se lever et la jouvencelle tardait à faire de même, triste de ce qui l'attendait. Une fois encore, comme chacun des matins qui avaient suivi son retour de la crypte, la nausée ramenait en elle les mêmes images.
Elle se revoyait franchir le seuil de leur appartement, trempée, les lèvres violacées et le cœur en arythmie. Fort heureusement, sa mère s'y trouvait, occupée à plier du linge propre. Gersende l'avait aidée à se déshabiller, puis frictionnée avec de l'alcool de lavande. Elle l'avait questionnée sur les deux marques cerise entre ses seins, là où les crocs de la vouivre avaient traversé le tissu du bliaud. Peu à peu, Algonde avait récupéré sa chaleur. Raconté. Tout, sauf sa décision de braver son destin. Elle refusait d'inquiéter sa mère. Lui dire son intention de s'offrir au baron pour se guérir du poison était bien suffisant à sa peine.
— J'aurais cent fois préféré que ce fût moi, s'était désolée Gersende.
Elles s'étaient enlacées. Les lèvres d'Algonde avaient tremblé quelques secondes, puis elle s'était reprise. L'instinct de survie en elle serait le plus fort. Elle le savait.
La jouvencelle avait repoussé sa mère avec tendresse, puis, ayant enfilé des vêtements secs, était sortie, assoiffée de lait frais. Ne trouvant pas le courage de traire Blanchette, elle s'était rendue aux cuisines où maître Janisse l'en avait abreuvée. Le cuisinier s'était assis en face d'elle, laissant ses commis s'activer.
— Te voilà bien pâlotte, ma bécaroïlle. Tu te manges le sang pour Mathieu, je le vois bien. Mais qu'attend-il donc ce bougre d'âne pour te faire sa demande ? Faudra-t-il que je lui botte le derrière pour le décider ?
— N'en faites rien surtout, j'en mourrais de honte, avait supplié Algonde.
Maître Janisse s'était relevé en soupirant et avait apposé un baiser paternel sur le haut de son crâne.
— Comme tu voudras, mais la tristesse te gâte les traits. Si tu veux m'en croire, accepte donc les œillades d'un autre, et tu verras ce benêt rappliquer.
Algonde avait senti son cœur se serrer. A la nuit tombée, avait-elle songé en se levant à son tour, un peu de crème à la commissure des lèvres, les conseils de maître Janisse risquaient bien d'être suivis.
Après avoir prévenu Mathieu qu'elle n'aurait guère de temps pour lui avant d'avoir remis la chambre maudite en état, elle y avait passé le reste de la journée. Dépoussiérée, astiquée, la pièce avait repris de l'allure. En fin d'après-midi, Gersende
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