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Le Chant des sorcières tome 1

Le Chant des sorcières tome 1

Titel: Le Chant des sorcières tome 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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triple galop, remonter les eaux miroitantes du Bosphore. Galoper à bride abattue jusqu'à l'ancien château byzantin. Là où son père lui avait confirmé pour la première fois ce que sa mère lui chuchotait tout bas : « Tu seras sultan, mon fils… »
    Il tirerait le mors devant les portes qui, en se refermant ce jour-là, avaient emmuré son destin, et relèverait la tête pour suivre le vol d'un rapace, avant de dévaler la colline, puis de gravir le promontoire entre la Corne d'Or et la mer de Marmara. En surplomb s'élevait le palais de Topkapi, près de la brèche par laquelle son père était, quelques années plus tôt, entré en vainqueur dans l'arrogante cité, la rebaptisant Istanbul. De là-haut, il suivrait les dentelles ocrées du massif des Dardanelles, ébloui par ce reflet du soleil sur le dôme d'or d'Aya Sofya, en se laissant bercer du chant d'un muezzin appelant à la prière. Sainte-Sophie. Le joyau de l'Orient. Cette perle sous le dôme de laquelle tant de croisés, leurs rois en tête, étaient venus se recueillir au fil des siècles. Combien de fois y était-il entré avant de prendre ses fonctions de gouverneur à Katmouni ? Combien de fois s'était-il agenouillé, lui le musulman, pour prier le Dieu des chrétiens, comme il le faisait avec Allah, de donner longue vie à son père ? Ce souvenir était si puissant à présent qu'il pouvait presque retrouver dans ses narines le parfum douceâtre de l'encens et devant ses yeux clos la lueur douce des milliers de bougies.
    — Chien de Bayezid, murmura-t-il, bien certain que son père n'était pas mort de la goutte comme on le lui avait annoncé.
    Il savait que son frère l'avait fait empoisonner. Djem emprisonna le drap dans son poing serré.
    — Veux-tu que je continue de jouer, mon prince ? demanda le vieil aveugle, qui en perdant ses yeux avait développé son ouïe.
    Depuis combien de temps la musique s'était-elle tue ? Djem n'aurait su le dire tant elle faisait partie de lui, comme les images de ce parcours imaginaire qu'il faisait chaque matin pour ne pas oublier, jamais.
    — Donne-moi de cette complainte que me chantait ma mère, lui demanda Djem pour adoucir sa colère.
    Il s'en berça, repris par la douceur du visage, la blondeur de la chevelure retenue par une résille de perles. Comme elle lui manquait ! Était-elle en vie encore ? Bayezid avait menacé de la tuer s'il s'acharnait. Il n'avait d'autre nouvelles d'elle que celles que son frère avait bien voulu lui donner.
    Il soupira tristement, rattrapé par son fardeau.
    Fourberie, mensonges. Il ne pouvait plus se fier qu'à lui-même, et à ses trois compagnons et amis, Houchang, Nassouh et Anwar, les seuls qui ne l'aient jamais trahi. Ce matin encore, il devrait donner l'illusion de sa crédulité. Il en avait assez de ce rôle, mais c'était à ce prix que peut-être se jouerait sa liberté, si tant est que le jeune duc de Savoie tienne sa promesse de la faire évader. Il ouvrit les yeux. Les parfums d'épices de son enfance n'étaient plus que des leurres. Lui dont l'érudition surpassait de loin celle de la plupart des rois, lui qui avait à Katmouni côtoyé poètes et savants, appris la géographie, les sciences, l'histoire, savait traduire le persan et parler la langue franque, le grec et l'italien, serait tout à même de combattre avec l'énergie du désespoir ceux qui le méprisaient assez pour le croire stupide. Il était un lutteur, un cavalier et un bretteur bien meilleur qu'aucun de ses geôliers. Le moment venu, les Hospitaliers l'apprendraient à leurs dépens. Fort de cette réflexion, Djem se leva et tira sur la cordelette qui pendait au-dessus de sa couche.
    Une servante parut aussitôt pour replier les volets intérieurs de la chambre.
    — Avez-vous bien dormi, mon prince ? demanda-t-elle.
    Il allait lui répondre lorsque l'impressionnante carrure de Houchang s'encadra dans la porte. Elle avait toujours eu pour Djem un côté rassurant. Rasée de près comme tous les matins, la peau brune de son compagnon luisait dans l'ovale régulier de son visage, presque autant que son regard pétillant. Sous les petites moustaches taillées ras, la bouche avait du mal à retenir le verbe. Djem congédia la servante. Le musicien la suivit, les doigts fatigués de jouer depuis des heures.
    — Parle, lui dit-il lorsqu'ils furent seuls.
    — Hussein bey était ici. Je l'ai croisé qui quittait la place comme je revenais de m'entraîner au maniement des

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