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Le Chant des sorcières tome 1

Le Chant des sorcières tome 1

Titel: Le Chant des sorcières tome 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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six femmes qui constituaient ce semblant de harem. Lorsque Djem tourna la tête, elle s'était déjà fondue dans la pénombre qui baignait la chambre et avait disparu. Seule perdura cette complainte jouée par un des musiciens qu'il avait emmenés dans son exil. Il ne pouvait le distinguer, mais il savait le vieil aveugle, comme à son habitude, rencogné dans le fond de la pièce. Djem avait besoin de cette mélopée chère à son âme pendant les fastes de l'amour. Elle lui venait de son grand-père Bayezid Ier, qui la tenait lui-même de sa mère. Elle lui permettait d'effacer le décor qui l'entourait, les humiliations doucereuses, les promesses avortées. Tant de duperies ! Il se fustigea cette fois encore. Que n'avait-il écouté ses conseillers !
    « On ne peut faire confiance à ces chiens de chrétiens ! » avaient-ils scandé d'une même voix. Il avait refusé de les entendre. Au nom de sa mère et de sa foi, restée intacte au long de ces longues années à chérir son musulman d'époux. Depuis son enfance, Djem avait vu cette princesse, cousine du roi de Hongrie, prier pour ceux que Mehmed II le Conquérant transperçait de sa lance, et tout à la fois se réjouir de ses victoires.
    — Nous avons tous le même Dieu, mon fils, seuls nos prophètes diffèrent. Sais-tu que la parole divine a été révélée à Mahomet par l'archange Gabriel ?
    Non, il ne savait pas. Alors, elle entreprenait de lui raconter ce qu'elle gardait au fond de son cœur, fière d'être la Khanoum, celle qui dirigeait tous les corps de métier desquels dépendait la bonne marche du palais, mais plus encore la préférée du sultan, éclipsant par son inégalable beauté toutes les pensionnaires du harem Homayoun.
    — Zizim, Zizim chéri, lui susurrait-elle à l'oreille, refusant, elle, depuis toujours de l'appeler Djem, ton père est le plus riche et le plus juste des hommes de cette terre. Vois son Empire, de la Cilicie jusqu'aux Carpates et du Péloponnèse à la Crimée, il est si vaste qu'une vie entière de chevauchée ne suffirait à en explorer tous les villages. L'empereur règne sur le commerce de la mer Noire et de la Méditerranée. Mais ce n'est pas là son plus grand trésor. Sa richesse, sa fierté, c'est toi, Zizim.
    — En quoi suis-je différent de mes frères, Annadjoun ?
    — Tu es mon fils, répondait-elle en redressant la tête, plongeant dans l'éclat profond de ses yeux d'un bleu intense.
    C'était d'elle que Djem détenait la beauté altière de son visage. Le nez aquilin, les sourcils épais mais bien dessinés, la bouche délicatement ourlée, le menton fin, la peau brune lui donnaient un charme incomparable que rehaussait sa haute stature aux muscles saillants. Sa mère s'enflammait de fierté à le regarder.
    — Tu es mon fils, Zizim, mais aussi l'élu. L'enfant des deux mondes. Le chrétien, le musulman. La représentation vivante pour ton père de ce que Dieu lui a commandé en armant son bras : la tolérance, partout.
    Elle s'enflammait.
    — Tout est là, mon fils. Tout est là. Le pouvoir au service des disparités culturelles et religieuses. Tu en es la clef de voûte. C'est pour cela que le sultan t'a choisi, toi, pour lui succéder. Pour gouverner l'Empire en préservant cela, avant tout. Sa gloire au royaume des cieux.
    — Mais c'est contraire à nos coutumes. C'est Bayezid qui le devrait, c'est lui l'aîné.
    Sophia, renommée Çiçek Hatoune, avait ce jour-là bombé le torse, à faire jaillir de sa tunique le galbe généreux de ses seins. Son visage s'était fendu d'un rictus de mépris, son poignet, ceint de multiples anneaux d'or, d'un geste d'agacement.
    — Ce fourbe, ce paresseux qui transpire l'opium ? Que peut-il comprendre à tout cela ? Il ressemble à sa mère ! Bayezid le sait bien, va, qu'il est né d'un mariage de convenance politique et qu'il n'est bon à rien ! Tu t'empareras du trône et tu le feras exécuter, comme son frère Moustapha. Voilà ce qui doit être.
    — Il n'empêche…
    — Rien du tout. Assieds-toi que je t'apprenne les commandements de la religion chrétienne, et cesse de me contrarier. Tu seras sultan, mon fils. Ainsi que ton père, et par là même Dieu tout-puissant, l'a décidé.
    Il avait dix ans alors, mais, depuis ce jour, Djem était déchiré entre ces deux mondes. Deux mondes qui s'étaient très vite révélés couverts de sang, d'honneur, de pouvoir derrière la foi. Deux mondes qu'il avait surtout découverts depuis

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